Connue pour sa forme étoilée et sa couleur d’un bleu azur, la bourrache officinale (borago officinalis) est une plante herbacée annuelle duveteuse qui pousse facilement dans les milieux rocailleux du bassin méditerranéen et qui appartient à la famille des Borraginacées. Sous des abords quelque peu rustiques, nous allons voir que cette plante dissimule de nombreuses propriétés. La planche ici représentée est extraite du tome 2 de la Flore de l’Aude, d'Athanase Py, manuscrit réalisé vers 1892 et comptant plus de 2600 planches aquarellées. Celle-ci figure une plante de 20 à 60 cm de haut dont la tige présente un système pileux extrêmement développé, le plus souvent rude et rêche, caractéristique commune aux quelques 2500 espèces différentes de la famille des Borraginacées comme le myosotis, la buglosse ou la vipérine. De l'extérieur vers le centre, on reconnait 5 sépales fortement velus sur les bords, 5 pétales puis un ensemble formé de 5 étamines dressées autour du pistil. C’est la forme de la fleur qui distingue la bourrache des autres genres de la famille, en effet sa corolle en forme de roue est constituée de 5 pétales soudés à leur base et donc d’une seule pièce contrairement à ses congénères.
Certains auteurs pensent que la bourrache est originaire du Proche-Orient et qu’elle aurait été introduite en Occident par les croisés de retour de leurs expéditions. D’autres pensent que sa présence abondante en Espagne est le fait de son introduction par les Maures dans ce pays. Ces deux hypothèses partent du postulat que la plante était inconnue en Europe avant le Moyen-Age. Homère (VIIIe siècle av. J.-C), évoque pourtant dans son Odyssée une plante merveilleuse Nepenthes qui mélangée à du vin apporte l’oubli absolu et « dissipe la tristesse, calme la colère et fait oublier tous les maux ». Plutarque (1er siècle ap. J.-C.) reconnaît dans cette plante la bourrache mais Galien, un siècle plus tard, pense lui à la buglosse. Cette dernière a en effet souvent été confondue au cours de l’histoire avec la bourrache officinale car elle portait le nom vernaculaire de bourrache et présente des propriétés similaires ! Il subsiste donc encore des zones d'ombres autour des origines de la bourrache.
Plusieurs explications étymologiques sont également envisageables. La première associe la borago1 à une origine latine burra, nom qui désignait autrefois une étoffe grossière à poils longs en rapport avec la pilosité importante de ces plantes. La seconde hypothèse rapproche l’origine du nom bourrache du celte barrach qui signifie « homme de courage2 ». La troisième suppose que le mot proviendrait de l’arabe abûaraq, littéralement « Père de la sueur » en référence à ses propriétés sudorifiques. C’est donc pour « exciter la sueur qui les guérit » que le bénédictin Nicolas Alexandre (XIIIe siècle), prescrivait à ses patients atteints de pleurésie, de boire chaque jour un verre de son suc (jus frais). Celui-ci dans son Dictionnaire pharmaceutique prête à la bourrache des vertus diurétiques, sudorifiques, béchiques 3 . Il ajoute que la bourrache fait partie des 4 fleurs dites « cordiales 4 » avec la violette, la buglosse et l’oeillet.
Certaines de ces propriétés autrefois vantées par les Anciens sont confirmées par la médecine d’aujourd’hui. En effet, en examinant les constituants principaux de la bourrache on s’aperçoit que ses feuilles et ses tiges contiennent des substances mucilagineuses5 et de l'allantoïne6 . Celles-ci sont cicatrisantes, anti-inflammatoires et permettent la régénération des tissus. Ainsi, les feuilles écrasées en pâte peuvent être utilisées en cataplasme sur les enflures et contusions. La bourrache contient aussi dans ses feuilles une grande quantité de nitrate de potassium ce qui lui confère un puissant pouvoir diurétique et des vertus dépuratives : les fonctions rénales sont stimulées et permettent un meilleur drainage du sang. On recommande son usage en infusion (fleurs et feuilles) pour aider à éliminer les déchets stockés dans l'organisme, dégager les bronches, ou lutter contre grippes, rhumes, fièvres, bronchites et toux. En cuisine, les feuilles crues finement coupées ont une saveur de concombre et sont encore consommées dans le nord de l'Espagne ; les fleurs bleues qui rappellent un peu le goût de l'huître serviront surtout à décorer une belle assiette. Certains scientifiques 7 déconseillent sa consommation sur le long terme car la bourrache contient en petite quantité des alcaloïdes potentiellement nocifs pour le foie mais une utilisation occasionnelle ne semble pas dangereuse pour l'organisme.
Si les Anciens se sont attachés aux différentes parties de la plante (les fleurs, les feuilles, les tiges, plus rarement les racines), les graines et l’huile ont été durablement négligées et sont mises en avant depuis peu. En effet, toutes les petites graines noires produites par la bourrache ne contiennent pas d'alcaloïde mais beaucoup d’huile qui elle-même renferme de l'acide gamma-linolénique (un oméga 6), des oméga 9 et de nombreuses vitamines (A, E, D, K). L'acide gamma-linolénique facilitant le renouvellement des cellules, tout en leur assurant une meilleure élasticité, certains le qualifie de molécule de jouvence. L'huile de bourrache est la source végétale connue la plus riche de cet acide gras, devant l'huile d'onagre et l'huile de pépin de cassis et elle présente également l'avantage d'être facilement cultivée en France malgré des méthodes de récolte délicates. Elle est ainsi utilisée en usage externe pour les problèmes cutanés, la peau sèche et les rides et elle entre dans la composition de nombreux produits cosmétiques. En usage interne, elle serait utile dans la prévention de l’athérosclérose, des maladies cardiaques et des lésions cérébrales ceci grâce à des propriétés hypotensives permettant de diminuer les dépôts lipidiques qui obstruent les vaisseaux sanguins8.
La Flore de l'Aude fait partie du corpus Flore, où l’on peut retrouver les autres ouvrages dont sont issues les illustrations ici représentées : Medicinal Plants, publié par Robert Bentley et Henry Trimen en 1880 et les Plantes de la France décrites et peintes d'après nature... publié à Paris par Jean-Henri Jaume de Saint Hilaire dans une première édition en 4 tomes (en 1808-1809) puis une seconde en 10 tomes (entre 1819 et 1822).
1 Latin médiéval
2 Dans le même esprit Albert le Grand, savant, philosophe et théologien du XIIIe siècle, la désignait comme génératrice de bon sang en faisant dériver son nom de borago à la forme latine cor ago : "qui agit sur le cœur" ce qui peut être interprété de deux façons : elle soigne les maux de cœur ou elle donne du coeur à l’ouvrage
3 Contre la toux.
4 Les plantes dites cordiales sont supposées agir sur le cœur et l’estomac et avoir une action réconfortante sur l’organisme, qu’elles semblent réchauffer.
5 Substance qui se gonfle au contact de l'eau sans s'y dissoudre mais en formant une matière visqueuse, comparable à la gomme et dont les propriétés épaississantes la font utiliser en médecine.
6 Substance neutre, constituée par le diuréide de l'acide glyoxylique, qui existe dans le liquide amniotique de la vache ainsi que dans l'urine de la plupart des mammifères mais aussi dans les racines de la plante appelée grande consoude appartenant aussi à la famille des Borraginacées
7 Bruneton J., Pharmacognosie - Phytochimie, plantes médicinales, 4e éd., revue et augmentée, Paris, Tec & Doc , Éditions médicales internationales, 2009
8 D.E. Barre,B.J. Holub. "The effect of borage oil consumption on human plasma lipid levels and the phosphatidylcholine and cholesterol ester composition of high density lipoprotein", Nutrition Research, 1992. Volume 12. Issue 10, pp. 1181-1194 [en ligne]
Pour en savoir plus :
Tela Botanica : le réseau des botanistes francophones. [site web]
Blog de Gallica. [site web]
Bernard Bertrand, La bourrache, une étoile au jardin !, Editions de Terran, 2003
Posté le 10/05/2022 | Par Anne-Sophie Bouvet