Images à découvrir : insectes de Surinam et de toute l’Europe par Anna Maria Sibylla Merian, peintre et naturaliste du 17e siècle

« L’histoire naturelle est de toutes les sciences celle qu’on cultive avec le plus de soin & d’application, dans un siècle éclairé comme le nôtre ». C'est ainsi que débute l'Avertissement de l'éditeur placé en tête de cette édition de l’Histoire générale des insectes de Surinam et de toute l’Europe écrite par Anna Maria Sibylla Merian, femme peintre et naturaliste du 18e siècle au parcours peu commun.

Anna Maria Sibylla Merian est née le 2 avril 1647 à Francfort-sur-le-Main. Après le décès de son père le graveur suisse Matthäus Merian (1593-1650), son beau-père Jacob Marrel (1614-1681), artiste-peintre floral, se charge de sa formation artistique. A ses côtés, elle apprend le dessin, la peinture et la gravure en taille-douce. Passionnée par l’observation de la nature, elle peint à 13 ans ses premières images d'insectes et de plantes d'après des modèles qu'elle capture elle-même.  

« Dès ma jeunesse je me suis employée à l’examen des insectes. J’ai commencé à Francfort sur le Mein, ma patrie, par les vers-à-soye ; ayant ensuite remarqué que les plus beaux papillons, tant ceux qui volent le jour, que ceux qui ne volent que la nuit, sortoient des chenilles ; je ramassai toutes celles que je trouvai, pour en étudier les transformations. Pour faire mes observations avec plus d’exactitude, j’abandonnai toute sorte de compagnie & je m’appliquais au dessein afin de pouvoir peindre ces insectes au naturel. »1

Mariée au peintre Johann Andreas Graff (1636-1701), elle s’installe à Nuremberg où elle a deux filles, Johanna Helena (1668-1723) et Dorothea (1678-1743), qui deviendront elles aussi illustratrices. Séparée de son époux quelques années plus tard, elle se déclare veuve et s’installe à Amsterdam. Elle fait alors la connaissance de Nicolaes Witsen (1641-1717), bourgmestre d’Amsterdam et directeur de la Compagnie des Indes Orientales, qui l’aide à financer un voyage au Surinam, colonie néerlandaise d’Amérique du Sud. Agée de 52 ans, Maria Sibylla y part avec sa fille Dorothea étudier les insectes dans leur milieu naturel. De retour en Europe en 1701 après deux années de voyage, elle se consacre alors à son ouvrage majeur qu’elle publie, à ses frais, en 1705, sous le titre Metamorphosis insectorum Surinamensium. Il s’agit d’un grand in-folio rédigé en latin et illustré de 60 planches dessinées par elle-même et gravées sous ses yeux par Jan Pieter Sluiter (1675-1713), Joseph Mulder (1659-1735) et Daniël Stopendaal (1672-1726).  

L’édition posthume2 ici présentée est parue en trois tomes en 1771 chez L. C. Desnos.  Elle a été revue, corrigée et augmentée par le médecin et naturaliste Pierre-Joseph Buc'hoz (1731-1807), auteur de nombreux ouvrages de botanique souvent très bien illustrés.

Le premier tome est une traduction en latin et en français, du Metamorphosis insectorum Surinamensium augmenté de 12 planches consacrées au lézards, serpents et araignées.

Le second est consacré à l’histoire des insectes de l’Europe et traite de « l’origine & des différens changements qui arrivent aux chenilles, aux vers, aux papillons & autres insectes ». Initialement paru en deux parties à Nuremberg en 1679 et Francfort en 1683 sous le titre Der Raupen wunderbare Verwandelung und sonderbare Blumen-nahrung, l’ouvrage ne compte pas moins de 180 illustrations in-4°. Anna Maria Sibylla Merian y adopte presque toujours la même mise en scène. Sur la plante hôte3 sont disposés les œufs (lorsque la ponte présente une particularité), une chenille, ainsi que la chrysalide entourée d’un cocon. Les papillons de jour sont figurés en vol et au repos. Les papillons de nuit sont, quant à eux, dessinés en une seule posture.

Enfin, le troisième tome est « une très jolie collection de soixante & neuf planches de plantes bulbeuses, liliacées, caryophillées, qui ont été dessinées & gravées d’après nature » et qui reprennent celles du Theatrum florae de Daniel Rabel (1578-1637), publié en 1622.

Le tome I de l’Histoire générale des insectes de Surinam et de toute l’Europe s’ouvre sur une gravure d’un ananas car selon Merian « l’ananas étant le plus excellent des fruits que l’on mange, il convient qu’il tienne le premier rang dans cet ouvrage & dans l’ordre de mes observations… ».

La composition est centrée sur la plante autour de laquelle des espèces animales évoluent. « On y voit les insectes représentés avec leurs différentes métamorphoses & leurs attitudes naturelles sur les plantes, les fleurs & les fruits dont ils se nourrissent ».

Sur l’ananas sont ainsi figurés plusieurs « kakerlaques » (blattes) « qui aiment sur-tout les choses douces, c’est pourquoi ils ont une inclination extraordinaire pour l’ananas ». 

Le format in-folio adopté par Anna Maria Sibylla Merian permet, à de rares exceptions près, de représenter les plantes et les insectes en grandeur réelle. Les gravures coloriées à la main par l’auteur et ses filles dans l‘édition de 1705 sont dans cette édition-ci en noir et blanc.

Anna Maria Sibylla Merian a marqué l’histoire de l’illustration botanique à une époque où les femmes y étaient rares. Elle a été une des premières naturalistes à entreprendre une expédition pour le Nouveau-Monde, à dépeindre et mettre en scène diverses espèces d’insectes et de plantes tropicales alors inconnues des Européens. L’ensemble de ses observations a influencé des générations de botanistes, dont Carl von Linné et René-Antoine Ferchault de Réaumur. Plusieurs espèces ont même été baptisées en son honneur : l’araignée Metellina merianae (1763), le saurien Salvator merianae (1839), et la grenouille Pseudi merianae (1841).

 

Cet exemplaire fait partie du corpus Flores de Tolosana. Il est conservé à la BU Santé des Allées Jules Guesde.

 

Notes

1. Source : préface de l’Histoire générale des insectes de Surinam et de toute l’Europe

2. Anna Maria Sibylla Meria décède le 13 janvier 1717 à l’âge de 70 ans

3. Plante hôte : espèce végétale qui constitue à la fois l’aliment et le lieu de croissance d’un insecte, souvent des papillons

 

Pour en savoir plus 

Paulette Pinard. Maria Sibylla Merian (1647-1717) et les lépidoptères. Bulletin de la Société entomologique de France, vol. 102 (4), octobre 1997. pp. 305-318 . [en ligne]

Louis Gevart. Maria Sibylla Merian : et la peinture sortit de son cocon. Beaux-arts magazine, n° 440, février 2021 [en ligne]

Catherine Simard. Anna Maria Sibylla Merian, artiste et naturaliste (1647-1717). Femmes savantes, femmes de science. Tome 2, 2015 [en ligne]

La Métamorphose des insectes du Surinam de Maria Sibylla Merian. Blog Mémoire Vive patrimoine numérisé de Besançon, A la loupe, 2016 [en ligne]

Luc Menapace. Les illustrations naturalistes de Maria Sibylla Merian (1647-1717). Blog Gallica BnF, 13 mars 2021 [en ligne]

Tela Botanica. L’artiste-peintre et naturaliste Anna Maria Sibylla Merian #MissionBotanique. Brèves de Tela Botanica, 18 décembre 2018 [en ligne]

Posté le 17/01/2022 | Par Frédérique Laval

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