L'éternel "retour aux fondamentaux" : la lecture

Le "retour aux fondamentaux" à l’école primaire est régulièrement évoqué. Pour contribuer au débat, Tolosana vous propose de remonter le temps, en commençant par la lecture, avec deux méthodes imprimées à Toulouse et utilisées dans les écoles toulousaines.

L'enseignement de la lecture, qui a connu plusieurs innovations au XVIIIe siècle, prend une nouvelle dimension au XIXe siècle et donne lieu à une production foisonnante : ce ne sont pas moins de 560 méthodes (ou documents assimilés), produites par 391 auteurs d’origines diverses, qui ont pu être répertoriées pour cette période. Se copiant souvent les unes les autres, elles portent des noms parfois étranges, se vantent d’être  "nouvelles", "ingénieuses", "naturelles", "simples" ou "faciles" et, dans tous les cas plus efficaces que les précédentes. La question de la durée d’apprentissage est en effet importante : de 3 ans minimum au début du siècle, elle passe ensuite progressivement à une année, grâce notamment à l'abandon progressif de la méthode dite "épellative" au profit de la méthode que l'on appelera "syllabique" puis "mixte" à partir des années 1950.

Une méthode ancienne à peine modernisée

Dans la première moitié du XIXe siècle et même au-delà, l'apprentissage de la lecture se fait encore avec la méthode dite "épellative" qui consiste à nommer et apprendre toutes les lettres, puis toutes les combinaisons formant des syllabes ("Be et A  BA"), avant de lire des mots puis des phrases, grâce à des textes déjà connus des enfants. L'apprentissage est encore très long.

La Méthode ingénieuse ou Alphabet syllabique pour apprendre à lire en peu de temps, n'hésite pourtant pas à faire cette promesse : "pour peu qu'un écolier qui connoît ses lettres soit doué de jugement, il peut, en très-peu de temps, apprendre à lire, et même sans le secours d'aucun maître". Mais l'auteur, anonyme, ne s'appesentit pas sur la méthode pour "connoître ses lettres". En fait, ce petit livret a un titre trompeur : ce n’est pas vraiment une méthode de lecture, car la partie apprentissage est rapidement expédiée en 6 pages présentant l’alphabet en plusieurs typographies, puis les consonnes, les diphtongues, les voyelles, les chiffres et enfin les syllabes, qui sont sans doute à apprendre par coeur par les élèves. La suite est une sorte de livre de lecture courante, qui débute par le Notre père et le Je sous salue Marie, et se poursuit par d'autres textes religieux.  Le procédé "ingénieux" mis en avant consiste à séparer les syllabes et les mots  - ce qui existe depuis des décennies dans certaines méthodes -  par des tirets, et par trois point verticaux au lieu d'une ou deux barres, ce qui n'est pas très révolutionnaire. Cette brochure est en fait très semblable à la méthode de Jean Moulinier et Pierre Gobain, publiée au début du XVIIIe siècle... On note cependant un tout petit effort pour rendre le manuel moins austère : le texte est imprimé dans un caractère "gros et sensible aux enfants", une illustration très sommaire est ajoutée (une vignettte représentant un poule sur la page de titre1, une couverture illustrée d'un soleil, d'une croix ou d'une fleur de lys selon les éditions et, parfois, une gravure pleine page représentant un oiseau ou le Christ en croix). 

Cette méthode destinée "à l'usage des écoles de Paris et de tout le royaume" (ou l'empire selon les dates) a connu, des années 1810 à 1860, de très nombreuses éditions quasi-identiques, dans plusieurs villes. Les plus anciennes  répertoriées datent de 18112, dont une publiée à Toulouse. La BU de l'Arsenal conserve 6 éditions toulousaines datées de 1819 à 1844, dont deux sont consultables sur Tolosana. L'édition de 1819, chez J.-M. Douladoure présente la particularité, déjà désuète à l'époque, d'apprendre à lire aux enfants sur des textes latins. Celle de 1830, chez A. Hénault  est dans un bel état de conservation, ce qui est assez rare pour ce type de document.

 

 

 

Une méthode qui fait une large place à l'image

Albert Laussel publie en 1816 à Toulouse chez Bellegarigue Les images, ou Introduction aux principes de lecture à l'usage des écoles primaires de l'un et l'autre sexe. L'auteur, prêtre, puis juge de paix et enseignant, s'inspire du Quadrille des enfans, publié dans les années 1740 par l'abbé Berthaud, directeur d'une maison d'éducation parisienne réputée. Cette méthode de lecture progressive débutait par l'association de l’image d’un objet familier à la prononciation de son nom, puis au son des voyelles associées, grâce à un système de fiches. Laussel cherche à la moderniser et la perfectionner car "malgré ses défectuosités, elle a obtenu jusqu’ici les plus brillants succès". Il introduit quelques innovations graphiques pour faciliter la prononciation de certaines consonnes, comme le c^ quand il se prononce "g "comme dans "second". Dans la dernière partie, "Principes de prononciation et de lecture", on trouve des "Pièces de lecture", le plus souvent en vers. Un manuel explicatif , Instruction pour les personnes qui enseignent a lire, contenant la manière de se servir du livre des images... est aussi disponible chez le même éditeur, ainsi qu'une "Boîte à images", contenant 60 fiches3. Comme l'abbé Berthaud en son temps, Laussel promet des résultats extrêmement rapides pour l'époque, en "trois ou quatre mois au plus". S'il est difficile de de savoir si cette méthode tenait ses promesses, il est incontestable qu'elle se démarquait par son rejet de l'épellation, "routine aveugle et sans raison"4 et son souci de faire appel à l'"imagination volage"4 des enfants par les images. Celles du manuel de Laussel, signées du graveur toulousain Jacques Bernard Mercadier, sont même imprimées en couleurs.

Ces deux méthodes, conservées à la BU de l'Arsenal, appartiennent à la collection consitutée par Fernand Pifteau. Elles font partie du corpus "Enseignement en pays toulousain", où l'on peut aussi retrouver La sinologie ou Méthode facile de prononciation et de lecture (Toulouse, 1875)  et un livre de lecture courante toulousain daté de 1840, l'Encyclopédie des enfants ou Livre de lecture pour les écoles.

1 Que l'on retrouve dans presque toutes les éditions, quelque soit l'éditeur

2 Mais elles portent déjà la mention "Nouvelle édition"

3 La Boîte à images ne figure malheureusement pas dans les collections de la BU de l'Arsenal.

4 A. Laussel, Instruction sur les nouvelles écoles élémentaires, [Paris, 1817 ?]. L'auteur y expose les méthodes de l'enseignement mutuel.

Pour en savoir plus

Chartier, Anne-Marie, et Jean Hébrard.« Chronique "histoire de l'enseignement". Méthode syllabique et méthode globale : quelques clarifications historiques », Le français aujourd'hui, vol. 153, no. 2, 2006, pp. 113-123. En ligne.

Christiane Juaneda Albarede. "Les méthodes de lecture au XIXe siècle". Actes de lecture, n°37, mars 1992.  En ligne

 

Posté le 24/10/2023 | Par Marielle Mouranche

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