Derrière Mademoiselle ***1, traductrice d’Essay de pseaumes et cantiques mis en vers et enrichis de figures, publié pour la première fois en 1693, se cache Élisabeth-Sophie Chéron (1648-1711). Tout à la fois peintre et miniaturiste spécialisée dans la pratique du portrait, graveur, musicienne, poétesse et traductrice, elle suscite l’admiration en raison de ses nombreux talents.
Élisabeth-Sophie Chéron naît le 3 octobre 1648 à Paris, d'une mère catholique, Marie Lefebvre, et d’un père protestant, Henry Chéron, peintre en émail de renom. La jeune fille est élevée dans la religion réformée.
En 1664, lorsque son père abandonne le foyer familial, Élisabeth-Sophie Chéron devient, par la force des choses, soutien de famille et maître d’atelier. Grâce à son pinceau et son renom de portraitiste, c'est elle qui pourvoit aux besoins de sa mère, ses sœurs et son frère cadet, Louis. À 20 ans, elle se convertit à la religion catholique, sous l'influence de sa mère et abjure sa foi à Saint-Sulpice le 25 mars 1668.
Le 11 juin 1672, à tout juste 24 ans, Charles Le Brun la présente à l’Académie royale de peinture et de sculpture, où elle est reçue comme portraitiste. Quatrième femme à y être admise, c’est la première qui le soit sans un appui familial.
Mais la peinture n'est pas la seule corde à son arc. Elle est aussi traductrice et poètesse. Dans le préambule de son Essay de pseaumes et cantiques mis en vers et enrichis de figures Élisabeth-Sophie Chéron dit que « cecy n’est qu’un coup d’essay. Quelques pseaumes2 mis en vers sans aucun dessein formé de les donner au public m’ont fait imaginer que les Pseaumes, avec leur histoire représentée par des figures, seroient du gout de tout le monde. »
Elle travaille à partir du texte latin de la Vulgate et, pour parfaire sa traduction, apprend l’hébreu. Selon le Journal de Trévoux « elle apprit l’hebreu, pour mieux entrer dans le sens du Prophete, & l’on peut assurer sans flatterie qu’elle a plus fait qu’elle ne prétendoit, qu’elle est entrée dans son esprit, & que nulle traduction n’a mieux conservé le sublime des Pseaumes3.»
Le petit volume de poésies de 115 pages est une collaboration fraternelle, les figures annoncées dans le titre, du même nombre que les psaumes traduits, sont dessinées et gravées sur cuivre par son frère Louis Chéron, exilé en Angleterre. On y trouve également le portrait d’Elisabeth Chéron4, parfois accompagné de quatre vers latins qui pourraient se traduire ainsi : « Voilà celle par qui les divins prophètes parlent dans une bouche française et les oracles anciens se dévoilent. Comme si elle s'était dérobée elle-même dans un miroir, elle s'est peinte, mettant son image dans ses vers, sculptant aussi son image dans le bronze5.»
Le livre des psaumes fut bien accueilli et les éditions se succédent. Selon Jean-Baptiste Fermel’huis, proche d'Élisabeth-Sophie Chéron, « cet essay eut une approbation universelle : elle y a conservé l’esprit, qui règne dans l’Original, sans rien perdre de l’expression, malgré une contrainte que l’on trouve à faire une traduction en vers. On y voit partout les traits de la Majesté Divine et la dignité dans les discours des Prophètes6. »
Mademoiselle Chéron s’éteint à l’âge de 63 ans, le 3 septembre 1711. Un peu oubliée aujourd'hui, elle fut beaucoup louée de son vivant :
« La sçavante Chéron, par de merveilleux traits
Imita la Nature, anima les portraits ;
Ses écrits sont gravés au Temple de Mémoire ;
Le Parnasse, en nos jours, n’a rien vu de plus beau
Et par cette femme illustre acquit autant de gloire,
Par ses vers que par son pinceau7. »
L’exemplaire présenté provient du fonds de la faculté de théologie protestante de Montauban de la BU de l'Arsenal (UT Capitole). Sur la page de titre, on remarque quelques ajouts manuscrits, l'ex-libris des Oratoriens de Paris dissout en 1791, ainsi que le cachet et la cote de la Bibliothèque du Tribunat constituée vers 1800 à partir de volumes sélectionnés dans les différents dépôts littéraires parisiens. Ce volume fait partie du corpus Ouvrages bibliques illustrés de Tolosana.
1. L'usage des *** pour dissimuler un nom d'auteur était courant à l'époque
2. Poèmes bibliques destinés à être chantés par les chrétiens
3. Article 35 du Journal de Trévoux, mars 1713, p. 439-440 [en ligne]
4. Malheureusement absent de l’exemplaire conservé à la BU de l’Arsenal (Université Toulouse Capitole)
5. Trad. d'Hilgar, Marie France / Haec illa est franco perquam nunc ore loquuntur Divini vates, et prisca oracula pandunt. Quin sese ut spécule furate est, prinxit ; at ipsam Mentem carminibus, speciem quoque sculpsit in aere
6. Fermel'huis, Jean-Baptiste. « Eloge funèbre de madame Le Hay connue sous le nom de mademoiselle Cheron », 1712
7. Baraton, D. Poésies diverses contenant des contes choisis, Paris, Denys Mariette, 1705
Pour en savoir plus :
Buffin, J.M. « les psaumes de madame Le Hay ». Revue d'histoire littéraire de la France, 36e année, n°1, janvier-mars 1929, p. 577-579 [en ligne]
Fermel'huis, Jean-Baptiste. « Eloge funèbre de madame Le Hay connue sous le nom de mademoiselle Cheron ». Archives de l'art français, Deuxième série. Tome premier, 1861, p.370-411 [en ligne]
Hilgar, Marie France. « Les multiples talents d'Élisabeth Sophie Chéron ». Cahiers du dix-septième, n°II/1, 1988, p. 91–98 [en ligne]
Le Ray, Gisèle. L’Illustre Mademoiselle Chéron. Blog Gallica, 2020 [en ligne]
Perrin Khelissa, Anne. « L’hommage de Fermel’huis à Élisabeth-Sophie Chéron (1712). Le premier éloge académique dédié à une femme artiste en France : un événement historiographique resté sans suite ?», Revue de l’Art, 2019-2, no 204, p. 41-49. [en ligne]
Posté le 26/09/2023 | Par Frédérique Laval