L’affaire Cécile Combettes sur Tolosana

Portrait de Cécile Combettes. Fondo Antiguo de la Biblioteca de la Universidad de Sevilla from Sevilla, España, CC BY 2.0 <https://creativecommons.org/licenses/by/2.0>, via Wikimedia CommonsTolosana vous propose une immersion dans les méandres d’une tragique affaire criminelle qui a enflammé les esprits et soulevé l’opinion publique française au milieu du XIXe siècle et que l'on citait encore des dizaines d'années après. A Toulouse, au petit matin du 16 avril 1847 un fossoyeur découvre le cadavre d’une très jeune fille au pied d’un mur mitoyen entre l’ancien cimetière Saint-Aubin et l'institut des frères des écoles chrétiennes. Ce cadavre est celui de Cécile Combettes, ouvrière de 14 ans et apprentie brocheuse chez le relieur toulousain, Jean Bertrand Conte. Elle avait disparu la veille vers neuf heures du matin alors qu’elle était allée avec ce dernier ainsi qu’une autre employée porter des livres chez les frères des écoles chrétiennes. En repartant, personne ne s’était inquiété outre mesure de son absence. Violentée sexuellement, elle a également été frappée d’une multitude de coups d’une extrême violence ayant entraîné la mort puis son cadavre a été déplacé dans le cimetière et installé dans une position étrange. Cécile est repliée sur elle-même, son corps repose sur les genoux et la pointe des pieds, sa tête penchée vers le sol. Le jeune âge de la victime, les circonstances et la brutalité des sévices imposés ont ému et provoqué l’indignation de la population toulousaine comme on peut le constater dans le poème intitulé Cécile ou la vierge martyre composé quelques jours après l’assassinat de la jeune fille :

 

"Une fille, une vierge ! à quatorze ans ravie
A l’amour maternel, à son père, à la vie ! Lys éclos ce matin, avant ce soir flétri ! (…)
Reposons un instant sur la foule qui passe
Nos regards attristés ; et détournons nos yeux de ce drame qui glace
Nos cœurs épouvantés".

 

Vue de l'établissement des frères de l'école chrétienne. Affaire Cécile Combettes : accusation de viol et meurtre contre Louis Bonafous, en religion Frère Léotade. Jougla, 1848

Aux prémices de l’enquête, le relieur au passé sulfureux, (il a auparavant violé et engrossé sa propre belle-sœur) est soupçonné puis innocenté, se trouvant à Auch l’après-midi et le soir du crime : il ne pouvait donc pas à priori avoir déplacé le corps dans le cimetière. Dans son témoignage, il suppose d’abord une mauvaise rencontre et un crime commis dans une maison mal fréquentée des environs puis il oriente rapidement et de manière décisive les investigations vers l'institut et plus particulièrement en direction de Louis Bonafous, frère Léotade en religion. En effet, celui-ci se serait trouvé dans le vestibule au même moment que la petite Cécile à qui le relieur avait donné la consigne de l’attendre pendant qu’il transportait les livres chez le directeur. Les charges s’accumulent contre frère Léotade qui de surcroît formule des déclarations contradictoires : ce dernier est accusé du crime de viol et de meurtre sur la personne de Cécile Combettes. Le procès devant la Cour d’assises commence le 7 février 1848 dans un contexte politique et religieux tendu. En effet à l’époque les frères des écoles chrétiennes, appelés péjorativement "Ignorantins", soulevaient l' hostilité de certains qui voyaient d’un mauvais œil les frères s’occuper d’enseignement alors que l’Etat commençait à cette période à créer des établissements d’enseignement primaire. La révolution de février et la mise en place de la Deuxième République interrompirent les audiences qui ne purent reprendre que le mois suivant.

Portrait de frère Léotade. Affaire Cécile Combettes : accusation de viol et meurtre contre Louis Bonafous, en religion Frère Léotade. Jougla, 1848C’est à travers 9 mémoires que vous pourrez découvrir sur Tolosana l’ensemble de cette affaire avec un exposé des faits réalisé par les différentes parties. Dans l'ouvrage Affaire Cécile Combettes : accusations de viol et meurtre contre Louis Bonafous, en religion Frère Léotade figurent un portrait de l’accusé et une vue de l’établissement des fréres de l’école chrétienne lithographiés par Delor. Suit le compte rendu de la Cour de cassation concluant au rejet du pourvoi ainsi que le compte-rendu de la Cour d’Assise de Haute Garonne. Ce procès qui est mené essentiellement à charge débute par la lecture d’un acte d’accusation d’une cinquantaine de pages. Les principaux éléments de l’accusation pour le ministère public sont tout d’abord la certitude que le crime a été commis à l’intérieur de l’établissement, personne n’ayant vu Cécile sortir et la porte donnant accès sur la rue étant constamment fermée avec une clef  ;  la thèse du cadavre jeté par-dessus le mur mitoyen au cimetière depuis le jardin du couvent et non depuis la rue Riquet, thèse confirmée par les experts et enfin la découverte d’une chemise dans la lingerie du noviciat qui pourrait appartenir à frère Léotade et sur laquelle on a retrouvé des graines de figues digérées identiques à celles retrouvées sur le corps de Cécile. Par ailleurs, frère Léotade était linger pour le pensionnat et assurait quelques fonctions d’économat, ceci ne joua pas en sa faveur car ayant une relative liberté de circuler et détenant un passe-partout qui lui ouvrait toutes les portes de l’établissement, les magistrats pensèrent qu’il avait attiré Cécile du vestibule au jardin jusque dans les écuries où il aurait perpétré son crime. Le 4 avril 1848, au terme d’un procès de 40 jours, l’accusé est reconnu coupable des crimes de viol et meurtre sur la personne de Cécile Combettes avec circonstances atténuantes : il est condamné à la peine de travaux forcés à perpétuité et à l’exposition publique.

 

Dans le Mémoire pour servir de défense à Louis Bonafous (…), les deux avocats de la défense, maître Jean Gasc et maître Charles Saint-Gresse remettent en cause la culpabilité de frère Léotade. Ils justifient les contradictions de ses déclarations par les tortures qu’on lui a fait subir lors de sa mise au secret durant 4 mois. Concernant le lieu du crime, la jeune fille aurait pu sortir sans être vue car le 15 avril était jour de foire et le portier était très sollicité. Par ailleurs, le corps de Cécile, s’il n’a pu être jeté depuis la rue Riquet, aurait pu être introduit depuis le côté canal ou depuis l’impasse du cimetière « par la large brèche du mur, pratiquée tout auprès de l’oratoire ». Un plan en fin d’ouvrage illustre le propos. Et enfin, pour la défense, les graines de figues digérées retrouvées sur une chemise souillée ne démontre qu’une seule chose « le dessert ordinaire des Frères est le même que celui de toutes les classes pauvres et laborieuses ». Ces arguments et le plaidoyer de maître Gasc ne suffiront pas à éviter la condamnation de Louis Bonafous qui meurt au bagne de Toulon le 27 janvier 1850 en continuant de clamer son innocence.

 

 

Plan des lieux. Mémoire pour servir d'introduction à la défense de Louis… Bonafous, en religion, frère Léotade, devant la Cour d'assises de la Haute-Garonne. Douladoure, Senac, 1848

Un autre homme est intimement persuadé de l’innocence du frère, c’est Jean Cazeneuve, ancien avocat de Toulouse à la retraite. Il assiste au procès qu’il qualifie de « parodie de justice » : il rédigera cinq mémoires entre 1848 et 1856 pour sa réhabilitation. Mettant en cause l'impartialité du président du Tribunal et l'acharnement de l'avocat général, il fera trois mois d'emprisonnement pour diffamation. Dans la première partie de sa Relation historique de la procédure et des débats de la cour d’assises dans la cause de Louis Bonafous il apporte la démonstration que le crime n'a pas eu lieu dans les locaux de l’institut des frères des écoles chrétiennes et de l’innocence de frère Léotade. Dans la seconde il met hors de cause l’institut qui selon la partie civile aurait intentionnellement caché des éléments de preuve à l’encontre des frères de l’établissement. A la fin du texte on trouve 6 figures réparties sur 2 plans servant son propos ainsi que le fac-similé d’une lettre réunissant les signatures de divers citoyens s’étant rendus dans les locaux de l’institut afin d’effectuer des vérifications factuelles. Malgré tous les efforts de Cazeneuve, l’accusé ne sera jamais réhabilité. D'aucuns pensent que le coupable serait Jean-Joseph Aspe, un ariégeois condamné en 1866 pour le meutre d'une femme dont il a tranché la tête, et qui a appartenu pendant plus de 10 ans à l’institut des frères des écoles chrétiennes de Toulouse, exerçant les fonctions de cuisinier à l’époque du crime. Une annexe de la cuisine du noviciat donnant directement sur le vestibule, l'homme aurait potentiellement eu l'opportunité d'y attirer la jeune fille. De plus, Aspe aurait avoué le meurtre au curé de son village qui aurait confié cette confession à l'évêque de Pamiers. Pourtant Aspe ne fit jamais d'aveux publics. D'autres restent convaincus de la culpabilité de Frère Léotade. Ainsi dans la préface de L'affaire Léotade, le frère qui viole  Gabriel-Antoine Jogand-Pagès, fondateur de la bibliothèque anti-cléricale et sous le pseudonyme de Léo Taxil, condamne frère Léotade mais aussi tout le clergé :  "Congréganistes de n’importe quelle robe, ils ont tous les mêmes instincts de lubricité féroce, tous les mêmes appétits de sensualisme ordurier, tous la même rage de voluptés dégradantes ". Cette diatribe, rédigée en 1880 soit 33 ans après les faits illustre pertinemment le climat d'anticléricalisme virulent de l'époque, anti-cléricalisme déjà présent en 1847 et qui favorisa sans conteste la condamnation de frère Léotade. A ce jour le mystère reste entier.

Les exemplaires présentés proviennent du fonds Pifteau et du fonds Frix Taillade de la BU de l'Arsenal (UT1 Capitole). Ils font partie partie du corpus Droit et sciences juridiques à Toulouse et sous-corpus Procès toulousains.

Pour en savoir plus :

Fabre, Jean-Pierre.  Le forçat de Dieu, Presse de la Renaissance, 2002

Pierre Bouchardon. L'énigme du cimetière Saint-Aubin (procès du frère Léotade), Albin Michel, 1926

Henri Puget. « Du nouveau sur un vieux crime... Le frère Léotade était-il innocent? ». Historia, n° 125, avril 1957.

Henri Puget. « Le frère Léotade n'était pas coupable ». Historia, n° 126, mai 1957.

Posté le 25/11/2022 | Par Anne-Sophie Bouvet

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