Qui pourrait imaginer dénicher des illustrations de licornes et d'éléphants dans une austère introduction à la Bible ? C'est pourtant le cas avec la nouvelle édition de l'Introduction à l'Ecriture sainte publiée en 1699 par le prêtre oratorien Bernard Lamy (1640-1715). Dans cet ouvrage sont réunies 22 planches dont 11 gravées sur cuivre représentant une sélection d'espèces animales et végétales citées dans la Bible. Ce théologien membre de la Congrégation de l’Oratoire depuis 1662 enseigne la rhétorique à l’Académie Royale de Juilly et la philosophie aux collèges de Saumur et d’Anjou. Proche de l’oratorien Nicolas de Malebranche (1638-1715), il appartient à un petit groupe de lettrés qui annonce l’esprit critique, encyclopédique et universaliste du 18e siècle. Il a publié plusieurs ouvrages dans des domaines variés : philosophie, rhétorique, mathématiques et physique mais aussi des travaux d’exégèse et de critique historique des textes bibliques dont l’ouvrage en question.
Les recherches théologiques et bibliques de Lamy sont pour l'essentiel contenues dans une série de traités écrits à partir de 1687, année où parait à Grenoble la première version de l’Introduction à l’Ecriture sainte..., sous le titre Apparatus ad Biblia sacra. Conçu à l’origine comme un manuel pour séminariste, il est refondu et développé dans une nouvelle publication en 1696 à Lyon sous le titre suivant Apparatus biblicus sive manuductio ad sacram scripturam tum clarius, tum facilicius intelligendam. L’ouvrage connait un immense succès et plusieurs éditions, dont celle présentée ici, traduite par François Boyer.
Lamy suit une approche thématique de l’histoire biblique différente de l’approche traditionnelle par chapitre et, comme mentionné dans sa préface, il divise son texte en trois livres : « le premier renferme la connoissance des choses judaïques qui facilitent l’intelligence de l’Ecriture. Le second regarde la Bible, son texte original, ses diverses traductions, les versions d’Origène1, la critique des Massoretes2, l’invention des points, la diversité des caractères hébreux, les proprietez de la langue sainte (…) Dans la troisième partie, j’ai inséré ce que je savois étre souhaité par beaucoup de gens, c’est-à-dire, un détail de mille choses curieuses, qui éclaircissent extrêmement les livres sacrés ».
Onze planches dépliantes non signées illustrent le premier livre. Six documentent l’étude de Lamy sur les sites sacrés de la Jérusalem antique avec notamment une carte de la nouvelle Judée, un plan de Jérusalem et un plan de son Temple. Les 5 autres gravures figurent les coutumes et usages judaïques en matière vestimentaire ou dans le domaine des proportions des monnaies, vases et mesures. Les 11 illustrations suivantes portent la signature « M. Ogier » suivi de la mention « fecit a Bon-Rencontre » en référence au quartier lyonnais où demeure le graveur Mathieu Ogier, en activité de 1676 à 1710. Celui-ci est un graveur de reproduction très fécond, même si la qualité de ses oeuvres reste souvent modeste. Il dessine et grave lui-même de nombreux portraits et collabore avec les imprimeurs libraires en fournissant vignettes, frontispices et planches pour l'illustration de leurs ouvrages, dont le troisième livre de l’Introduction à l’Ecriture sainte.... Il grave ici 11 planches représentant certaines espèces animales et végétales citées dans la Bible. En effet nombre de récits comme la Création, le Déluge ou l’Apocalypse regorgent d’animaux réels ou légendaires.
Parmi la vingtaine d’animaux ici représentés, la licorne ne figure pas dans la catégorie des animaux douteux ou fabuleux mais dans celle des bêtes sauvages car selon Lamy « Quelques-uns ont pensé que la licorne étoit un animal chimerique ; mais l’Ecriture n’en auroit [alors] pas parlé ». En effet, le re’em, en hébreu, est un animal mentionné à 9 reprises dans la Bible, et le plus souvent traduit par « licorne », « buffle » ou encore « bœuf sauvage ». La version latine de la Bible utilise le terme « corne unique » du latin unicornis ou « rhinoceros » du grec monocéros. Il s’agirait en fait de l’oryx d’Arabie (Oryx leucoryx) proche de l'antilope. Ses deux cornes sont tellement droites et symétriques que lorsqu'on le regarde de profil, on a l'impression qu'il n'a qu'une seule corne, ce qui a pu provoquer l’amalgame. Dans les récits bibliques il y a une bonne et une mauvaise licorne : dans le livre des Psaumes, elle est redoutable et dangereuse, ailleurs elle est douce et pacifique. On attribue la première description écrite de licorne au médecin grec Ctésias (4e siècle av. J. C.), puis des récits de personnalités historiques éminentes de l’Antiquité comme Aristote, dans son Histoire des animaux, ou Pline l’Ancien, dans son Histoire naturelle, ont contribué à perpétuer le mythe des licornes à travers les siècles. Ces premières descriptions évoquent les qualités que l'on a ensuite associées à la licorne mythologique : vitesse, férocité, invincibilité, pouvoirs de guérison et insaisissabilité. La popularité de la licorne a également été favorisée par le succès des bestiaires médiévaux. A la Renaissance, Conrad Gessner (1516-1565), un des plus grands naturalistes de son époque, publie une Historiae animalium (1551-1558), premier ouvrage de zoologie moderne visant à décrire tous les animaux connus ; on y trouve le monocerote, un type de licorne. Au cours des siècles suivants, la licorne devient pour l'Église chrétienne un symbole de pureté et de grâce, ou de puissance en référence à la Vierge Marie et au Christ.
C’est dans la catégorie des bêtes domestiques à 4 pieds que Lamy répertorie ensuite l’éléphant, animal introduit dans la Judée par Salomon ; « Il y a apparence que ce Prince, qui avoit commerce dans les Indes en amena les elephans et l’ivoire dans la Judée (...) les rois de Syrie & Egipte en eurent toujours dans leurs armées comme on le voit dans l’Histoire des Machabées3 ». La Bible ne parle guère des éléphants. Néanmoins, les deux premiers livres des Machabées ont inspiré divers thèmes iconographiques dont celui de l’éléphant « harnaché » ou « porteur de tour », très présent dans les livres et les manuscrits. L'animal est souvent représenté portant une sorte de donjon rempli de soldats. Dans ce récit biblique il devient un instrument militaire utilisé par les Séleucides pour réprimer la révolte des Machabées. Ce sont 32 éléphants dressés au combat et excités par du raisin que les judéens affrontent. Un second épisode voit Eléazar, protagoniste de cette révolte se sacrifier, écrasé par un éléphant qu’il transperce de son glaive croyant qu’il était monté par le Roi Antiochus V, responsable de la répression. L'éléphant occupe aussi jusqu'au 18e siècle une place importante dans la symbolique chrétienne : on lui attribue des qualités de chasteté, d'innocence, de sagesse et de force. Il est en particulier associé à la noblesse et à la pureté de la Vierge. De plus il fournit l'ivoire, matière noble, pure et imputrescible, qui sera considéré comme un attribut de Marie et l'appellation « Tour d'ivoire » fait partie des titres mariaux par lesquels la mère du Christ est invoquée dans la prière litanique qui porte son nom.
Les 4 dernières planches de l’Introduction à l’Ecriture sainte... représentent 16 espèces végétales citées dans la Bible parmi lesquelles le cèdre du Liban dont Lamy dit qu’ « il est élevé, toûjours verd. Sa feuille est épaisse & aiguë ; sa moële est rouge & de l’odeur. Son fruit ressemble aux pommes de pins ; & de son tronc, il coule une résine ». Le cèdre du Liban appartient à la famille des Pinacées. Originaire du Moyen-Orient et en particulier du Liban où on peut le trouver à partir de 1500 mètres d’altitude, il s’est progressivement acclimaté en Europe depuis le 18e siècle où il est utilisé comme arbre d’ornement des grands parcs. En effet, cette espèce de conifères peut atteindre 40 mètres de hauteur et 3,50 mètres de diamètre. Ses branches imposantes poussant à l’horizontale lui confèrent, au bout de plusieurs dizaines d’années, un port tabulaire4 très étalé. Lamy souligne qu' « il ne se corromp point, & il n’y a pas de meilleur bois pour les bâtimens & pour les vaisseaux. Un ouvrage digne du cèdre, est un ouvrage digne de l’immortalité ». Cet arbre est effectivement cité dans la Bible comme ayant été utilisé par Salomon pour construire la charpente du Temple de Jérusalem. Les forêts de cèdres du Liban ont été énormément exploitées depuis l’Antiquité comme matériau de construction des monuments sacrés mais aussi des bateaux phéniciens, assyriens, romains et égyptiens. Symbole d’immortalité, le cèdre du Liban est un bois légendaire et sacré, vénéré depuis cette époque et utilisé pour les sarcophages des grands rois et des papes. En effet, son parfum éloigne les insectes et les vers, il a donc une résistance exceptionnelle à la pourriture, aux champignons et aux insectes.
Dans cet ouvrage on peut également trouver diverses illustrations de chameau, caméléon, autruche, mandragore, myrrhe et palmier....
L'Introduction à l'Ecriture sainte... fait partie du corpus ouvrages bibliques illustrés.
1 Né à Alexandrie vers 185 et mort à Tyr vers 253, c'est un théologien de la période patristique.
2 Transmetteurs de la Massorah (ensemble de points-voyelles, de signes de ponctuation et de lecture, de notes marginales et interlinéaires, mis au point par les docteurs juifs de Tibériade pour fixer le texte hébraïque de la Bible et éviter des altérations dans sa transmission).
3 Famille juive qui mena la résistance contre la politique d’hellénisation pratiquée au 2e siècle av. J.-C par les Séleucides (dynastie hellénistique fondée par Séleucos qui régna de 312 à 64 avant Jésus-Christ).
4 En forme de table.
Pour en savoir plus :
Jean Robert Armogathe, Le Grand Siècle et la Bible, Paris, Editions Beauchesne, 1989
Myriam White-Le Goff. ”La Licorne, polyvalence et persistance”. Grandes et petites mythologies II : Mythe et conte, faune et flore, 2022, Reims, France. pp.207-219. hal-03894947 [en ligne]
Varejka, Pascal. "L'éléphant dans la symbolique chrétienne", L'objet d' Art, 2003-7, no 382, p. 48-57
Tela Botanica : le réseau des botanistes francophones. [site web]
Posté le 20/06/2024 | Par Anne-Sophie Bouvet