« J'étois si jeune quand j'ay ecrit ces institutions sous Mr de Martres dans l'université de Toulouse qu'on doit excuser les fautes d'orthographe et autres que j'y ay faites ». Cette note manuscrite a été écrite sur un cours copié en 1683 à la faculté de droit de Toulouse par l’étudiant Georges Rodier sous la dictée d’Antoine de Martres, premier titulaire de la chaire de droit français à l’université de Toulouse, nommé peu de temps auparavant.
Ce manuscrit est un précieux témoignage sur l’enseignement donné à la faculté de droit de Toulouse au XVIIe siècle. A cette époque, celle-ci n’a plus le prestige qu’elle a connu au siècle précédent : ses effectifs ont beaucoup baissé, la routine et une relative médiocrité marquent ses enseignements. Mais la création d’une chaire de droit français, une des mesures de l’édit de Saint-Germain de 1679 par lequel Louis XIV rénove l’enseignement du droit en France, est un facteur de renouveau et même une petite révolution, surtout en pays de droit écrit : non seulement on introduit un enseignement des ordonnances royales et des coutumes du royaume à côté des droits romain et canonique (qui demeurent la base des études juridiques), mais il est donné par des praticiens du droit, et en français qui plus est, alors que depuis des siècles tous les cours universitaires sont donnés en latin.
A Toulouse, c’est Antoine de Martres (1638-1695), qui est nommé par le roi, en 1681 : originaire de l’Ariège, il fait une brillante carrière d'avocat après ses études à Toulouse. Comme les autres professeurs de droit français, il connaît rapidement un grand succès auprès des étudiants, qui n’est pas étranger au mauvais accueil réservé par ses collègues. Les nombreuses chicanes destinées à lui montrer qu’ils acceptent mal sa qualité de professeur royal (nommé par le Roi, sans concours), finissent souvent devant le parlement de Toulouse. Il enseigne pendant 14 ans et meurt dans l'exercice de ses fonctions. Il n'a laissé aucune oeuvre publiée mais on conserve de lui quelques cours manuscrits écrits sous sa dictée qui témoignent du caractère assez novateur de son enseignement, notamment par sa conception relative et évolutive du droit.
Trois de ces documents sont consultables sur Tolosana : le manuscrit ici présenté, « Institutions au droit français accomodées à l’usage de la province de Languedoc », une autre version de ce cours sans doute donnée la même année1, ainsi que « Les principes du droit canonique francois par Mr de Marthres », cours donné sans doute en 1688-16892.
Le premier est bien documenté, ce qui est relativement rare. Sur le premier feuillet, il est précisé que ce cours a été « dicté par par M. de Martres avocat en parlement et proffesseur du droit françois dans l'université de Toulouse en 1683 ». Le mot dicté doit être pris au pied de la lettre, car les cours étaient effectivement dictés par les professeurs. Le manuscrit contient également la copie, sans doute postérieure, de l'"Explication des articles de la coutume de Paris qui regardent les batiments. Par M. Bullet"3.
L’étudiant qui a pris ce cours en note a pu être identifié avec une quasi-certitude : il s’agit de Goerges Rodier, dont l’ex-libris manuscrit figure en tête du volume. Originaire de Carcassonne, Georges Rodier a étudié le droit à Toulouse : le registre des bacheliers en droit des années 1681 à 1727 indique qu’il obtient ce diplôme en en 1683. Il devient ensuite avocat à Carcassonne (il est consul de la vile en 1714). Il a sans doute conservé ce cours, utile à sa pratique, longtemps après ses études, comme en témoignent la note déjà citée, des notes marginales, ainsi qu’un texte écrit de sa main à la fin du volume sur les usages de la ville de Carcasonne sur les bâtiments et servitudes, et sans doute la copie du texte de P. Bullet. Les différences d'écriture surprennent, mais peuvent s'expliquer : les cours ont été pris en note dans une écriture cursive, à un âge juvénile. Une note ajoutée tardivement sur le manuscrit nous apprend que Georges est le père de Marc-Antoine Rodier, lui aussi avocat, qui a exercé à Toulouse et a rédigé plusieurs traités.
Ce manuscrit a appartenu à un membre de la famille Cros-Mayrevielle, peut-être Jean-Pierre (1810-1876), historien diplômé en droit. Conservé à la bibliothèque Germain Sicard de l’université Toulouse 1 Capitole, il fait partie d’un ensemble d’une trentaine de manuscrits de notes de cours donnés à la faculté de droit de Toulouse, présents dans les BU toulousaines ainsi que dans les bibliothèques municipales de Rodez et Toulouse (corpus Droit et sciences juridiques à Toulouse). Toutes disciplines confondues, les cours manuscrits de l'université de Toulouse ou des établissements associés, sont pour l'instant au nombre de 36 (corpus Enseignement en pays toulousain).
1 - Conservé à la bibliothèque municipale de Toulouse
2 - Conservé à la bibiothèque municipale de Rodez
3 - Extrait d'une des éditions de l'Architecture pratique de Pierre Bullet
Pour en savoir plus :
P. FERTE, Histoire de l’Université de Toulouse, Tome 2, Editions midi-pyrénéennes, 2020
J. POUMARÈDE, « Le barreau et l'Université», Itinéraire(s) d'un historien du droit, Méridiennes, 2011 En ligne
C. CHENE, « Les professeurs de droit français toulousains et le droit romain », Droit romain, jus civile et droit français (sous la dir. De J. Krynen, Presses de l’universitédes sciences sociales de Toulouse, 1999 En ligne
Posté le 15/04/2021 | Par Marielle Mouranche