Cabinet de curiosités : poésies érotiques de François Maynard

Pour la période estivale, Tolosana vous propose une pointe de légèreté avec la découverte d'un texte relevant de la catégorie que les libraires appellent Curiosa (livres érotiques anciens) et qui mérite à plusieurs titres d'être placé dans la rubrique "cabinet de curiosité". Cet opuscule, Les Priapées du poète François Maynard (1582-1646)  rassemble 56 poèmes érotiques et libertins. Il entre aussi dans la catégorie des "perles rares", car c'est sans doute le seul ouvrage de ce type présent dans les fonds anciens des BU Toulousaines.

Comment François Maynard, fils d’un conseiller au Parlement de Toulouse, qui fut secrétaire de Marguerite de Valois tout en exerçant la profession de magistrat jusqu'en 1628 et qui de surcroît entra à l'Académie française en 1634 en vint à écrire ces vers salaces, lui qui était réputé pour la douceur mélancolique de ses vers, comme ceux de La Belle Vieille ?

Disciple de François de Malherbe, sa réputation est consacrée par son ample participation au recueil les Délices de la poésie françoise, qui réunit des poètes contemporains comme Duperron, Racan, Meziriac et bien entendu Malherbe. Celui-ci n’affectionnait pas le libertinage en poésie, pourtant au goût de l'époque, mais ne le méprisait pas, pourvu que les vers soient irréprochables ; il écrivit d'ailleurs quelques vers érotiques et corrigea plusieurs épigrammes libertins de son ami.

Maynard occupe la première place parmi les poètes "non conformistes" du début du XVIIe siècle ; entre 1609 et 1622,  il écrit une quarantaine de pièces que l'on peut qualifier de poésies "satyriques" ou poésies libres parues dans différents recueils comme Les Muses gaillardes recueillies des plus beaux Esprits de ce temps publié par Antoine du Breuil ou bien encore dans le Recueil des plus excellans vers satyriques de ce temps et le Cabinet satyrique publié par Antoine Estoc. Mais le scandale lié à la parution du Parnasse satyrique, recueil collectif dont Maynard est l'un des auteurs met un terme à la vogue de ce genre de poèmes. Théophile de Viau, figure de proue du libertinage et ami de Maynard, s'exile car il est condamné au bûcher par le Parlement de Paris en tant que maître d'oeuvre du recueil en question. Maynard échappe à la persécution sans doute grâce à son éloignement de Paris 1 et à sa profession de magistrat. 

Il ne s'assagit pas totalement, mais les épigrammes salaces composées par Maynard après 1622 restent tout à fait confidentielles pendant plus de deux cents ans. Mais qu'est-ce donc qu'une priapée au sens strict du terme ? C'est une petite composition en vers dont Priape, divinité phallique est la figure centrale2. Les Priapées sont éditées pour la première fois en 1864 à partir d'un des manuscrits figurant dans le fonds Valentin Conrart, éminence grise du milieu littéraire du 17e siècle et premier secrétaire de l'Académie française. L'adresse de ce recueil " Freetown  Imprimerie de la Bibliomaniac Society" est une adresse purement fictive car son éditeur, Jules Gay, après de nombreux procès, se voit retirer l'autorisation d'exercer en raison de la nature licencieuse de ses publications. Il est contraint de s’exiler à Bruxelles, véritable lieu d'édition des Priapées

Sur la forme, ce recueil peut apparaître très austère, aucune gravure ne vient illustrer les vers de Maynard, mais le curiosaphile comme le novice y trouveront de façon certaine de quoi aviver leur imagination.

Le texte débute par un avertissement au lecteur sous la forme d'une facétie obscène : "Lecteur dont le grave sourcy marque une prudence chenue, croy moy, n'approche point d'icy : Venus s'y fait voir toute nue (...) Sçache, lecteur que je me pique d'écrire avecque liberté, et qu'une épigramme pudique est un ouvrage sans beauté". Dans ses priapées Maynard a recours à un langage cru car les organes et les gestes sexuels sont constamment désignés par leurs noms les plus grossiers comme par exemple con, vit et foutre. Mais si "l'esprit epigrammatique" de Maynard s'épanouit dans la gaudriole il nous montre aussi un discours vif, acéré et subtil. Parmi les thèmes licencieux évoqués figure l'appétit sexuel du poète que l'on pourrait comparer à un "mercenaire de l'amour" : "Nymphes, de grâce approchez-vous d'un vit qui semble une machine. Je suis perdu si je ne fous : la paillardise m'assassine. Vous souvient il au temps passé vous fûtes vertement foutues des priapes qui m'ont laissé la tutelle de ces laitues ? Je suis invincible comme eux et mon testicule est fameux par le nectar dont il abonde." Dans d'autres passages il évoque le temps qui passe justifiant l'urgence d'assouvir les désirs de la chair et il raille les "vieilles décrêpies" : "Vieille, jaune comme un écu et faite comme une grotesque. Mon vit à l'entour de ton cu ne dansera plus la moresque. Tu m'as beau suivre nuit et jour et me dire que ton amour est au-delà de toutes bornes ; Je ne veux point d'un con si vieux de crainte de planter des cornes sur le tombeau de mes ayeux". Ce thème récurrent illustre bien la misogynie habituelle de ce genre de littérature.

On peut s’interroger sur la présence de cet exemplaire des Priapées dans le fonds du bibliophile toulousain Fernand Pifteau (1862-1945), acheté  à sa veuve en 1946 par la bibliothèque universitaire de Toulouse. Essentiellement composé d'impressions locales ou d’ouvrages ayant pour thème Toulouse, la religion et le droit y dominent largement et on ne peut y dénicher aucun autre curiosa de ce genre. Les nombreuses notes manuscrites que Fernand Pifteau a laissé dans ses ouvrages révèlent plutôt une personnalité très pieuse et d’une moralité très stricte. Quelles motivations ont bien pu le pousser à acquérir cet ouvrage figurant dans la section Enfer des collections de la Bibliothèque nationale de France ? Aurait-t'il été séduit par sa rareté et par le clin d'oeil de l'adresse bibliographique aux "bibliomaniaques", dont il constituait assurément un specimen intéressant ? Mais c'est sans doute le lieu de naissance de l'auteur qui aura séduit ce "Toulousomaniaque", car aucun écrit lié de près ou de loin à Toulouse ne devait échapper à ce collectionneur averti. A noter aussi le caractère singulier du conditionnement ajouté par Pifteau, une reliure portefeuille ancienne, en maroquin doré, avec fermoir, qu'il a récupérée et "bricolée" pour l'adapter à ce petit volume.

1 - Il réside à Aurillac où il exerce sa charge de président au présidial, ou dans sa propriété de Saint-Céré dans le Lot

2 - Fils d'Aphrodite et de Dyonisos dans la mythologie grecque et romaine, dieu de la fertilité, protecteur des jardins et des troupeaux, cette divinité est souvent représentée avec un gigantesque pénis constamment en érection, symbole de l'énergie créatrice divine

Pour en savoir plus :

Yvonne Bellenger, "Facétie et obscénité dans la poésie après 1550. Discussion" [en ligne]. Réforme, Humanisme, Renaissance, 1977, n°7,  pp. 97-103.

Frédéric Graça, "Entre muses gaillardes et muses galantes : les variations du discours licencieux dans les oeuvres poétiques de François Maynard". Dix-septième siècle, 2017/4, pp.587-610.

François Mainard. Priapées ; édition critique par Guillaume Peureux. Paris : Classiques Garnier, 2018.

 

Posté le 16/07/2020 | Par Anne-Sophie Bouvet

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