Figures de plante : la mandragore (mandragora officinarum)

Avec de nombreux écrits inspirés par son histoire et les croyances qui s’y rattachent, la mandragore (mandragora officinarum) est la plus célèbre des plantes considérées comme magiques, même si à première vue elle ressemble tout simplement à une grosse salade. C’est une herbacée vivace appartenant à la famille des Solanacées qui poussent dans les pays méditerranéens. La partie érigée de la plante mesure une trentaine de centimètres, taille modeste par rapport à celle des racines profondément enfouies dans le sol qui peuvent atteindre 80 centimètres et peser plusieurs kilogrammes. Les feuilles des tiges accueillent au cœur de la rosette des fleurs de couleur blanche verdâtre, bleutée ou violette au printemps, puis des fruits ronds semblables à des tomates jaunâtres. Depuis le 18e siècle le genre Mandragora (Mandragore) ne fait pas consensus au sein des botanistes qui ont multiplié les descriptions d’espèces et de sous-espèces. Aujourd’hui, après révision de ce genre, seules 3 espèces sont retenues dont celle qui nous intéresse ici la mandragora officinarum qui pousse sur le pourtour de la Méditerranée, bien qu’on ne la trouve pas en France continentale ni en Corse.

La planche représentée ci-contre est extraite du premier tome des Plantes usuelles, indigènes et exotiques…. publié à Paris en 1807-1808, par le médecin et botaniste Joseph Roques. L’ouvrage est orné de 133 planches gravées sur cuivre, coloriées à la main. Un classement alphabétique simplifiant sa consultation est complété par deux tables situées à la fin du second tome. Roques, après une courte description botanique de l’espèce insiste sur le caractère toxique de la plante : "Toutes les parties de la Mandragore recèlent un principe vénéneux ; elles ont une odeur fétide et une saveur acre, nauséabonde. La racine sur-tout, jouit d’une action narcotique très intense, et son écorce provoque puissamment les évacuations alvines1 ". Il finit son propos en réfutant âprement le caractère magique de la plante : "Il serait superflu de retracer ici les fables absurdes accueillies par l’ignorance et la superstition des peuples, touchant les propriétés merveilleuses de la Mandragore. Dans le siècle où nous vivons, on ne croit plus ni aux revenans ni à la magie ".

Planche extraite de l'ouvrage "Introduction à l'Ecriture sainte. Bernard Lamy, 1698-1699""Le terme français "mandragore" vient du latin mandagrora lui-même tiré du grec μανδραγόρας (mandragroras). L’étymologie grecque est obscure. Dans la Genèse, Rachel réclame à sa soeur, Léa, des doudaïms pour vaincre sa stérilité. Certains traducteurs les ont identifié à la mandragore car le texte fait référence à l'importance de la plante dans un contexte érotique et ses vertus sur la fertilité. Ainsi dans son Introduction à l'Ecriture sainte...., Bernard Lamy évoque cet épisode de la Bible et on trouve à la fin de cet ouvrage une gravure de mandragore parmi les 11 planches représentant les espèces animales et végétales citées dans la Bible. Dès l’Antiquité gréco-romaine, on attribuait à la mandragore des propriétés thérapeutiques narcotiques, analgésiques, antispasmodiques et anti-inflammatoires. Ainsi, sa racine était utilisée en tant que somnifère ou anesthésiant pendant des opérations mais aussi sous forme de boisson en cas de spasmes intestinaux. Ses feuilles fraîches ou conservées dans la saumure étaient également employées en cataplasme contre les abcès ou les ulcères. C’est surtout au Moyen-Age que la mandragore est associée au monde de la magie : elle devient une plante sacrée entourée de légendes et de rites, ceci principalement à cause de puissantes propriétés hallucinogènes et de sa racine. Celle-ci s’apparente à la forme d’un panais mais peut se diviser en deux parties lui donnant une vague ressemblance avec le corps humain, ce qui a enflammé les imaginations. Elle semble en effet dotée de « deux jambes » et ses radicelles2 rappellent des poils. Cet aspect humain résultait, croyait-on, du sperme des pendus car il n'était pas rare de la retrouver au pied des gibets, d’où son surnom d’"herbe aux pendus". La mandragore devient un motif important dans l’iconographie médiévale notamment par son rituel Planche extraite de: Ibn Butlan, Tacuinum sanitatis. BnF, Latin 9333, f. 37r.Gallica (BnF)d’arrachage qui doit obéir à de nombreuses règles bien précises. C’est l'Herbarius Apulei un herbier latin illustré datant du 4e siècle et abondamment recopié qui aurait répandu l’idée que déraciner cette plante anthropomorphe exposerait tout cueilleur entendant son cri terrifiant à une mort certaine. Ainsi, la solution préconisée dans ce manuscrit est de faire effectuer le travail par un chien, la malédiction s’abattant sur celui-ci ; la mandragore est alors représentée pour la première fois attachée au cou d’un chien. Plante réelle, elle a donné lieu à un véritable corpus de mythes, même dans les régions où elle ne pousse pas.

Aux 15e et 16e siècle, la mandragore devient la plante des sorcières et sa réputation magique s'amplifie. Selon la légende, elles l’utilisaient pour fabriquer des philtres aphrodisiaques ainsi qu’un onguent dont elles s’enduisaient la peau ou les muqueuses. Cette mixture savamment dosée à base de mandragore mais aussi de belladone et de jusquiame3 était réputée leur permettre d’entrer en transe ou de se rendre au sabbat. La fin de la "chasse aux sorcières" va peu à peu précipiter la mandragore dans l'oubli. Au 18e siècle des descriptions botaniques apparaissent et la mandragore perd son caractère mythique qu'elle ne retrouve que dans la littérature des auteurs romantiques.  Son usage médical tombe alors en désuétude alors que ses principes actifs, essentiellement l’atropine et l’hyoscyamine (des alcaloïdes psychotropes), sont encore utilisés dans certains médicaments pour traiter les spasmes, les coliques ou en pré-anesthésie. Seule l'homéopathie l'exploite encore dans le traitement de l'arthrose.

Les Plantes usuelles, indigènes et exotiques font partie du corpus Flore. L'Introduction à l'Ecriture sainte... fait partie du corpus ouvrages bibliques illustrés.

 

1 Est un puissant laxatif

2 Petit filament qui provient de la ramification des racines plus importantes

3 Plantes de la famille des Solanacées aux vertus narcotiques et hypnotiques

 

Pour en savoir plus :

Tela Botanica : le réseau des botanistes francophones. [site web]

Luc Menapace (2019, 17 février). La mandragore : naissance et persistance d’un mythe. L'Histoire à la BnF. [en ligne]

Cécile Nissen. "La mandragore dans la thérapeutique durant l’Antiquité gréco-romaine". New Yperman. 2004. [en ligne]

Priscila Frey. "Plantes de sorcières. Histoire d'hier et d'aujourd'hui". Thèse d'exercice, Pharmacie. Lille, Université de Lille, 2021. [en ligne]

Posté le 04/04/2024 | Par Anne-Sophie Bouvet

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