Pour égayer une période hivernale quelque peu maussade, Tolosana vous propose de découvrir un document rare et étonnant intitulé « Nouveau procédé pour détruire les taupes d’une propriété, en 24 heures ». Publié à Toulouse en 1851 par un certain M. Reuilhet, pédicure et imprimé chez Bonnal et Gibrac, cet opuscule, pour la modique somme de 50 centimes, nous fait une promesse alléchante dès sa première page : "une entière destruction des taupes". Une planche gravée de 7 figures au début de l’ouvrage illustre le procédé présenté comme infaillible et une mention figurant sur la page de titre précise même « Le plus maladroit ne peut en manquer une ».
Après quelques considérations sur le mode de vie des taupes, l’auteur explicite les dessins représentés sur la planche. Les 7 figures reproduisent diverses configurations de taupinières sur une pièce de terre ce qui peut apporter, selon l’auteur, des informations précieuses sur l’occupation, l’abandon ou les habitudes de leurs indésirables occupants. Le but est d’en déduire le nombre de taupes de la propriété, préalable nécessaire à l’exécution du procédé proposé. Un petit lexique précède l’explication détaillée de la technique de destruction. On y apprend par exemple qu’un taupier est un homme qui connait les mœurs et les usages de la taupe et que la houe, ou hoyau, qui sert à piéger les taupes est un instrument de fer recourbé fixé à un manche en bois. L’auteur détaille ensuite les différentes étapes de sa technique, qui utilise la noix vomique, graine du vomiquier, nom familier du Strychnos nux-vomica, arbrisseau de l’Inde, à écorce très amère et à graines vénéneuses contenant notamment de la strychnine, un alcaloïde très puissant. Mais toute la subtilité de la méthode réside dans la manière de dissimuler cette substance dans un ver de terre afin que la taupe, qui en raffole mais qui est un mammifère très méfiant, ne s’en aperçoive pas et s’empoisonne en mangeant l’appât. Tout d’abord, il s’agit de se procurer une poudre de noix vomique qui ne soit pas trop grossière. Il faut ensuite parvenir à introduire le produit dans le ver de terre à l’aide d’un tube comme le cylindre creux d’une plume et ceci sans le casser en ayant bien pris soin au préalable de « sortir toute la terre ou fange qu’il a dans le corps afin qu’il ne puisse faire aucun mouvement pour rejeter la noix vomique ». Puis, on provoque une arrivée d’air en découvrant le trou de la taupe, et on y introduit le ver empoisonné mais de manière qu’il puisse remuer et ainsi être repéré par la taupe qui approche lorsqu’elle sent l’arrivée de l’air pour la colmater. « En le suçant, elle avale la partie empoisonnée sans s’apercevoir de rien ».
On connaît peu de choses à propos de l’auteur de ce document si ce n’est quelques informations de nature professionnelle recueillies dans une annonce parue dans le Journal de Toulouse publiée le 27 septembre 1825 : « Le sieur Reulihet de Saint-Jory, artiste pédicure et pédiculaire, fait la toilette des pieds, extirpe les cors, tond les durillons et arrange les ongles qui entrent dans les chairs (…) . Il reçoit des abonnemens à l’année, et se transportera au domicile des personnes qui voudront l’honorer de leur confiance. Il est logé rue des Tourneurs, n. 35, à Toulouse et il a un cabinet chez lui pour opérer ». Il est aussi l’auteur de deux autres ouvrages : le premier, « Traité des maladies cutanées des pieds, telles que cors, ognons, durillons, verrues, ongles, etc., » publié à Toulouse en 1831 où il délivre cette fois d’autres recettes efficaces comme la “décoction contre les sueurs fétides ou puantes des pieds”. Le second, « Manuel du taupier parfait et universel, ou le Destructeur éternel des fléaux de l'agriculture » publié à Toulouse en 1854 et plus complet que l'ouvrage ici présenté.
Si la taupe est un animal populaire que l’on retrouve souvent dans la littérature enfantine comme par exemple dans La petite Poucette d’Andersen, il n’en reste pas moins qu’elle demeure une espèce particulièrement redoutée et pourchassée par les jardiniers et les amateurs de belles pelouses. Ainsi sous Louis XIV, la famille Liard est engagée pour exercer la fonction de taupier à Versailles et ainsi préserver l’intégrité des jardins du château. Cette famille produisit plusieurs générations de taupiers jusqu’à la fin de l’Ancien Régime. Aujourd’hui encore, un taupier exerce à Versailles mais les taupes n’y sont plus systématiquement chassées et sont même tolérées au fonds du parc, loin des bâtiments. De plus, les pièges mécaniques utilisés pour en réguler le nombre sont plus respectueux de l’environnement et moins cruels que les pièges chimiques car ils permettent de capturer la taupe vivante et de l’éloigner. En effet, on reconnait à la taupe malgré tout quelques vertus : si elles se nourrissent à 90% de lombrics, elles mangent aussi les taupins, les vers blancs et même des limaces et leurs galeries facilitent l’écoulement des eaux de pluie.
Cette brochure est très rare puisqu’on n’en recense qu'un autre exemplaire, conservé à la Bibliothèque nationale de France. Celui-ci provient du fonds Pifteau de la BU de l'Arsenal (UT1 Capitole).
Ce document fait partie du Corpus "Sciences et techniques en pays toulousain"
Posté le 09/02/2021 | Par Anne-Sophie Bouvet