Le 10 000ème ouvrage en ligne sur Tolosana

A M. le directeur et à MM. les membres du jury d'expropriation (Toulouse, 1850)Tolosana a franchi le cap des 10000 ouvrages mis en ligne avec un document intitulé « A M. le directeur et à MM. Les membres du jury d’expropriation ».

Dans ce mémoire, Monsieur Darrieux, notaire, conteste par l'intermédiaire de son avocat Charles-Joseph-Gaspard de Saint-Gresse l’indemnisation proposée par la ville de Toulouse pour l’expropriation de sa maison  qui lui a été notifiée le 1er février 1850. La contestation porte sur le montant de l’indemnisation qui est qualifiée de dérisoire et inexplicable au regard de «toutes les règles théoriques et pratiques d’évaluation d’indemnité usitées jusqu’à ce jour ».

Ce document s’inscrit dans un contexte de réorganisation rationnelle du tissu urbain qui a débuté à la fin du XVIIIème siècle sous l’influence de Jean-Pascal Virebent, architecte et ingénieur en chef de la ville de Toulouse, nommé en 1782. Il occupera ce poste pendant une cinquantaine d’années durant lesquelles ilPortrait lithographié par J. Roques figurant dans l'ouvrage "Notice historique sur M. J.s-P.cal Virebent ingénieur…(Toulouse, 1831)" va marquer la ville de son empreinte en contribuant à créer un style particulier qualifié de noble et simple, caractéristique de la période néo-classique. Virebent est le créateur de nombreuses places toulousaines comme celle des Carmes et de la place Wilson mais aussi des immeubles de la place du Capitole. Ceux-ci ont été conçus avec une volonté d’uniformisation des bâtiments entourant la place. Le but est de créer des façades de style analogue à l’ouest, au nord et au sud de la place pour s’harmoniser avec la grande façade du Capitole bâtie au XVIIIème siècle. Ce sont les aménagements de la place du Capitole, prévus par Virebent, dont les travaux ont débuté en 1809 et se sont terminés après sa mort au début des années 1850, qui ont conduit à l’expropriation de Monsieur Darrieux, propriétaire et occupant d’un immeuble au numéro 13 rue de l’Orme Sec. Les plans de l'architecte prévoient une transformation complète de cette voie avec la création d’une rue nouvelle large de 9 mètres, à l’alignement des façades du côté nord de la place, jusqu’au carrefour des rues Delville et Pargaminières. Ce projet implique donc la démolition de la plupart des immeubles et leur reconstruction à l’alignement. La maison en question se situe à une dizaine de mètres avant l'intersection avec la rue Mirepoix. La nouvelle rue sera rebaptisée rue Jean-Antoine Romiguieres du nom d'un avocat au parlement de Toulouse au XVIIIe siècle.

Plans de la maison Darrieux par M. Richard et François Virebent, architectes, et lithographiés par DelorDans ce mémoire judiciaire qui est assez austère on trouve néanmoins 3 belles planches, lithographiées par Achille Delor, destinées à étayer les propos du plaignant. Ce sont des plans de l’entresol, du premier étage, une vue en coupe ainsi que l'élévation de la maison en question. Ils nous révèlent une imposante construction s'apparentant à un hôtel particulier et qui totalise une surface de 485 m2 au cadastre, surface très appréciable en temps de confinementDe belle facture, "elle réunit à la solidité d'autrefois l'élégance et le confortable des temps modernes". De plus, ce bâtiment offre plusieurs installations et dépendances utiles "pour la salubrité et les commodités" qui lui confèrent une plue-value supplémentaire :  parmi lesquels, on note des "lieux à l'anglaise" (toilettes) qui complètent les "lieux" du fond de la cour, et une écurie, une remise et un grenier à foin indispensables à l'époque pour loger sa voiture. Ses murs de pierres et de briques "sont d'une épaisseur tout à fait exceptionnelle" et "ses fondements ont été creusés à une grande profondeur". Les pièces principales ont été parquetées et lambrissées et M. Darrieux a engagé des sommes élevées pour l'exécution d'importants travaux au rez-de-chaussée afin d' y installer son étude notariale. Tous ces éléments sont repris dans l'argumentaire de l'avocat du plaignant en faveur d'une réévaluation de l'estimation de la valeur de sa maison. Celui-ci requiert une indemnisation de 197 325 francs soit 450 francs le mètre carré alors que l'offre initiale de la mairie était de 70 000 francs soit 156 francs le mètre carré. Toutefois nous ne savons pas si ce recours connut une issue favorable pour le plaignant. Les plans de cette construction ont été conçus par les architectes M. Richard et M. François Virebent  Ce dernier n'est autre que l’un des cinq fils de Jean-Pascal Virebent qui, comme son frère Auguste, devint aussi architecte. Pourtant François et Auguste ne prirent pas la suite de leur père à la mairie en 1830 mais ce fut le neveu de Jean-Pascal Virebent, Urbain Vitry, qui au final lui succéda. Architecte et urbaniste de talent, il utilisa au mieux les matériaux locaux : la brique parfois rehaussée de pierres blanches et les ornements de la famille Virebent. En effet, en 1831 les cinq frères Virebent déposent le brevet de la plinthotomie, un procédé qui mécanise la fabrication des briques mais qui permet aussi de créer facilement toutes sortes de décors architecturaux et sculptures en terre cuite et de les reproduire à des milliers d'exemplaires. Un nouveau style toulousain est né.

Ce document, au delà de son intérêt juridique, constitue donc un précieux témoignage historique sur l'architecture et l'urbanisme toulousain au 19e siècle.

 

 

 

Pour en savoir plus : 

Ce focus ayant été rédigé en période de confinement, ces ouvrages n'ont malheureusement pas été consultés

Société académique d'études architecturales (Toulouse). Toulouse : 1810-1860. Bruxelles, 1985

Desseaux-They, Nelly. La dynastie Virebent : une histoire de terre. Toulouse, Terrefort, 2015

Capella, Marie-Laure de. Urbain Vitry : aimer et savoir. Toulouse, Terrefort, 2016

 

 

Posté le 14/05/2020 | Par Anne-Sophie Bouvet

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