Figures de plantes : le pavot somnifère

Cousin du coquelicot, le pavot dit « somnifère » (papaver somniferum) peut sembler au premier abord une plante anodine. En effet, si l’on peut rencontrer cette herbacée annuelle de la famille des Papaveraceae dans les montagnes asiatiques, elle est aussi très répandue dans les espaces verts en Europe, d’où son autre appellation de « pavot des jardins ». Pourtant nous verrons que cette plante contient aussi des opiacés 1 ce qui lui vaut également le nom de pavot à opium.

La planche ici représentée est extraite du tome 6 des Plantes de la France décrites et peintes d'après nature..., publié à Paris par Jean-Henri Jaume de Saint Hilaire dans une première édition en 4 tomes (en 1808-1809) puis une seconde en 10 tomes (entre 1819 et 1822). Elle y est décrite comme « une plante annuelle haute d’environ trois pieds, à feuilles embrassantes ; incisées, inégalement dentées sur leurs bords, et d’un vert glauque ; ses fleurs sont grandes, terminales, avec un calice caduc, à deux folioles, à étamines très nombreuses, à ovaire libre. » Ses fleurs présentent des teintes et des aspects variés : du blanc au pourpre en passant par toutes les nuances de rose et de violet ou même noirâtre pour quelques spécimens. Les fruits du pavot sont des capsules globuleuses appelées « têtes de pavot », lisses et cireuses surmontées d’un chapeau plat et rond et qui contiennent de nombreuses graines. Il faut distinguer deux variétés de pavot somnifère : le pavot noir (nigrum) et le pavot blanc (album). C’est du pavot noir, dont la culture est autorisée, que l’on extrait l’huile d’oeillette. En effet, les fruits mûrs du pavot contiennent des graines non toxiques et sans propriété narcotique. L’huile d’oeillette, comme les graines de pavot, est utilisée en cuisine et appréciée pour son petit goût de noisette. Concernant l’origine de son usage thérapeutique, s’il y a 5000 ans la culture du pavot semblait déjà exister principalement pour ses graines, il est difficile de savoir à quel moment l’homme comprit que l’incision des parois des capsules permettait d’obtenir un latex blanc séchant rapidement à l’air libre. De fait, c’est cette substance qui, après oxydation, contient une quarantaine d’alcaloïdes opiacés comme la morphine ou la codéine et que l’on appelle « opium ».

Les usages médicaux de l’opium semblent dater de la Haute-Antiquité : une tablette sumérienne la mentionne comme « plante de la joie » ; dans l’Egypte ancienne elle était utilisée comme analgésique ou sédatif et de nombreuses préparations l’intégrant sont décrites sur un célèbre papyrus, le payprus Ebers qui date de 1500 ans avant J.C.2. C’est dans la Grèce antique que Théophraste, philosophe, botaniste et médecin (IIIe siècle avant J.C.) fit la première description du jus de pavot, et de la méthode pour le récolter ; mais la véritable percée de l’opium en Europe est due à Galien, médecin grec de l’Antiquité qui l’introduisit dans la composition de la thériaque, préparation à laquelle on prêtait des vertus toniques et efficaces contre les poisons, les venins et certaines douleurs et dont l’utilisation s'est maintenue en Europe jusqu’au XIXe siècle. Au XVIe siècle, le médecin suisse Paracelse utilise l’opium dans une préparation contre la douleur : le laudanum. Celle-ci évoluera au XVIIe siècle avec le médecin anglais Thomas Sydenham vers une teinture d’opium safrané, formule simple à réaliser et efficace. Surnommée « l’aspirine du XIXe siècle », elle était aussi utilisée en cas de diarrhée, toux, rhumatisme, règles douloureuses et maladies cardiaques.

La morphine, principe actif de l'opium, est toujours produite à partir de pavots somnifères même si des méthodes de synthèse existent. Elle peut être élaborée en égrenant la capsule et en séchant l'extrémité de la tige, puis la morphine est extraite en milieu hydro-alcoolique mais on peut aussi l'obtenir à partir de l'opium par extraction aqueuse acide. L’usage thérapeutique de la morphine, hypnotique et puissant analgésique, est reconnu en 1805 grâce aux publications d’un pharmacien allemand, Friedrich Stertürner, et cette molécule entre progressivement dans la pratique médicale un peu partout dans le monde. Au début du XXe siècle, elle est massivement utilisée lors de la guerre de 1914-1918 pour soulager blessures et amputations. Pourtant la loi de prohibition du 12 juillet 1916 marque un tournant important en la classant dans la catégorie des stupéfiants et en réservant son seul usage légal à une médecine sous haute surveillance. En effet, pour prescrire de la morphine, le carnet à souche devient obligatoire en 1948 3. Ces mesures ont contribué à la diminution de son utilisation thérapeutique jusqu’à la fin des années 70. Il faudra attendre la fin du XXe siècle et l'évolution des mentalités pour que la morphine soit réhabilitée tout en encadrant son "bon usage".  Par ailleurs la diversification des modalités de dispensation (gélule, voie transdermique ou injection) lui ont permis de devenir une arme très efficace dans la lutte contre la douleur tout en minimisant les risques liés à son administration même si les conditions de sa prescription restent sousmises à des règles spécifiques (ordonnance sécurisée, prescription ne pouvant excéder 28 jours) . Ainsi, l’opium et son principe actif la morphine sont l’illustration de la dualité médicament-drogue, le premier permet de traiter efficacement la douleur et le second entraîne la toxicomanie4

Aujourd’hui on peut planter du pavot à opium dans son jardin sans enfreindre la loi si la surface reste raisonnable et même s’il est préférable de le garder à distance des enfants ou des animaux domestiques. En revanche à grande échelle, bien qu’il soit légalement cultivé dans une vingtaine de pays dont la France, sa culture est encadrée et liée à la production de morphine pour usage pharmaceutique ou alimentaire. De plus, les autorités restent vigilantes car on a retrouvé récemment une teneur importante en alcaloïdes d’opium dans des produits de boulangerie contenant du pavot. En effet, les graines qui ne contiennent pas d’alcaloïdes à la base peuvent être contaminées de multiples manières par le latex pendant la production ou la récolte du pavot. La direction générale de la santé recommande donc de rester vigilant lors de la consommation de produits contenant « des quantités significatives » de graines de pavot et de contacter un centre antipoison et de toxicovigilance si l’on ressent les symptômes suivants rapidement et pendant plusieurs heures : somnolence, confusion, fatigue, rougeur du visage, démangeaisons, bouche sèche, nausées, vomissement, constipation et rétention d’urine.

Les Plantes de la France décrites et peintes d'après nature... font partie du corpus Flore, où l’on peut retrouver les autres ouvrages dont sont issues les illustrations ici représentées : Medicinal Plants, publié par Robert Bentley et Henry Trimen en 1880 et la Flore de l’Aude, d’Athanase Py, manuscrit réalisé vers 1892 et contenant plus de 2600 planches aquarellées.

 

1 Substances dérivées de l’opium

2 Payprus découvert à Louxor en 1862 par Edwin Smith et vendu à l’egyptologue Georg Moritz Ebers, auteur de sa première traduction. Ce papyrus fait partie des plus anciens documents médicaux originaux connus et considéré comme l’un des premiers traités médicaux. Il est conservé à la bibliothèque universitaire de Leipzig

3 Il sera finalement supprimé en 1999.

4 Les Etats-Unis sont confrontés depuis une vingtaine d'années à une forte augmentation des overdoses et des décès liés à la prise d'opïoides prescrits ou non prescrits (fentanyl, Vicodin ou Percoet) : plus de 400 000 morts depuis 1999 

 

Pour en savoir plus :

Tela Botanica : le réseau des botanistes francophones. [site web]

Botanique et médecine anciennes à travers le patrimoine des universités toulousaines. Toulouse : SICD, 2005

Posté le 26/10/2021 | Par Anne-Sophie Bouvet

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