Figures de plantes : le muguet de mai

Pour fêter le prochain retour des beaux jours, Tolosana vous offre un brin de muguet cueilli dans le premier tome des Plantes usuelles et indigènes de Joseph Roques, publié en 1807-1808. « Si pendant les beaux jours du printems, on se transporte dans les lieux ombragés, dans les vallées solitaires, on y rencontrera cette jolie plante également remarquable par la délicatesse de son port et par le parfum de ses fleurs. C’est là qu’on pourra observer sa petite tige dont la base est enveloppée par deux feuilles larges, ovales lancéolés d’un vert luisant, tandis que son sommet est embelli par une grappe de fleurs unilatérales, blanches, d’une odeur suave, à corolle à grelots ». C’est ainsi que l'auteur décrit  dans cet ouvrage le muguet ou convallaria majalis, littéralement convallaire de mai, plante herbacée et vivace de la famille des Liliacées, nommée ainsi officiellement en 1753 par le naturaliste Carl von Linné  et reproduite sur l’une des 133 planches gravées sur cuivre et coloriées à la main figurant ci-contre . Comme de nombreuses plantes, on lui connaît beaucoup d’autres appellations courantes : clochette des bois, grillet ou bien encore lis des vallées 1 en raison du lien de parenté entre les deux plantes, de leurs similitudes quant à la date de floraison et de leur préférence pour le fonds des vallées. On l’appelle aussi parfois gazon du Parnasse car dans la mythologie grecque il est dit que le muguet fut créé par Apollon pour tapisser le sol du Mont Parnasse où il séjournait en compagnie de ses muses afin que celles-ci n’abîment pas leurs pieds délicats.

Après une courte description botanique, Roques évoque ses applications médicales. A cette époque le muguet est essentiellement utilisé sous forme de poudre et dans un but sternutatoire c’est à dire « pour provoquer l’excrétion muqueuse de la membrane du nez » en fin de rhume. En 1755, le médecin allemand Johann Friedrich Cartheuser rapportait dans sa Matière médicale que le muguet vaut aussi contre les palpitations, les malaises, la mélancolie et qu’il permet de rendre la mémoire en raison de la sensation de dégagement du cerveau que procure l’inhalation de fleurs, en particulier de poudre de fleurs sèches dont on se sert comme du tabac à priser. Pourtant cette plante est potentiellement dangereuse car on y trouve trois toxines : la convallarine, la convallamarine et la convallatoxine qui ont des actions diurétiques et cardiotoniques proches de celle de la digitaline. Si le muguet a été utilisé dans le traitement de maladies cardiaques particulières ou bien parfois en phytothérapie, il peut se révéler être un poison violent en cas d’ingestion et provoquer des troubles digestifs (douleurs abdominales, nausées, vomissement, diarrhée) et des troubles du rythme cardiaque pouvant provoquer l’arrêt du cœur.

Le nom français de muguet, connu dans les textes depuis 1200 sous la forme mugue ou musguet, est un dérivé de musc, vraisemblablement en raison du parfum capiteux de la fleur. Au Moyen-Age, le mois de mai était celui des « accordailles » (fiançailles) et traditionnellement on accrochait un bouquet de muguet à la porte de sa bien-aimée, la blancheur des fleurs symbolisant la pureté. Ce serait Charles IX, à la Renaissance, qui aurait institué la tradition d’offrir un brin de muguet le 1er mai en guise de porte-bonheur.  A cette époque le parfum des clochettes du muguet était également très apprécié par les hommes de la haute société qui recouraient à son caractère suave et légèrement musqué pour séduire les femmes. C’est pourquoi on a appelé cette pratique, qui a perduré jusqu’au XIXe siècle, « mugueter » ou « faire le muguet auprès d’une femme ».

Dans son calendrier républicain, utilisé de 1792 à 1806, Fabre d’Eglantine associe le muguet au 7 floreal qui correspond au 26 avril et non plus au 1er mai. Du reste, c’est le premier à proposer l’idée d’une fête du travail qui sera fixée au tridi des sans-culottides 2 c'est à dire le 19 septembre. Le muguet est associé aujourd'hui au premier mai, et à la fête du travail, dont l'origine remonte à 1890, première journée internationale des travailleurs. L'églantine rouge (rosa canina ou rosa rubiginosa), représentée ci-contre, est alors fréquemment arborée lors des manifestations et congrès ouvriers. Mais elle est peu à peu concurrencée par le muguet, très en vogue au début du XXe siècle, avant d'être officiellement interdite par le maréchal Pétain en 1941, qui préfère le symbolisme du blanc à celui du rouge, trop révolutionnaire. Le premier mai est rebaptisé alors "fête du Travail et de la Concorde sociale". Le nom sera modifié, mais la tradition du muguet demeure.

En France, la vente de muguet pour les particuliers est tolérée sur la voie publique le 1er mai à condition d’être à plus de 50 mètres d’un commerce officiel et sous réserve que le muguet soit sauvage (cueilli dans les bois) et vendu au brin.  Le 1er mai 2021, malgré la crise sanitaire et le confinement et contrairement à l'année passée, fleuristes et particuliers sont autorisés à vendre du muguet, ces derniers devant tout de même respecter la limite des rassemblements à 6 personnes. Actuellement, chaque année, plusieurs dizaines de millions de brins de muguet sont commercialisés en France pour le 1er mai. Il s'agit de muguet sauvage bien sûr mais aussi de celui qui est cultivé au niveau de trois zones de production : le muguet nantais (80% de la production) puis le bordelais et varois (20%). Comme celle du chrysanthème à la Toussaint, la production de muguet est axée sur un jour fixe au point que lorsque le temps est très beau en avril, cela pose des problèmes aux producteurs qui doivent retarder l'apparition des fleurs par divers moyens.

En France, à l’instar du trèfle à quatre feuilles, il existe une tradition selon laquelle ce serait uniquement le brin de muguet à 13 clochettes qui porterait bonheur : ajustez bien vos lunettes pour trouver la perle rare !

 

Cet ouvrage fait partie du corpus Flore où l'on peut trouver une autre représentation du muguet dans les Plantes de la France, décrites et peintes d’après nature….publié à Paris par Jean-Henri Jaume de Saint-Hilaire entre 1819 et 1822.

 

1 "Lily of the valley" en anglais

2 Les sans-culottides désignent les jours complémentaires du calendrier républicain, qui ne comportait que 12 mois de 30 jours, soit 360 jours ; chacun était consacré à une fête publique

 

Pour en savoir plus :

Tela Botanica : le réseau des botanistes francophones. [site web]

Maurice Dommanget, Histoire du premier mai, Éditions de la Tête de feuilles, 1972

Posté le 01/05/2021 | Par Anne-Sophie Bouvet

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