Figures de plantes : la digitale pourprée

Plantes de la France...(Paris, 1819-1822)Que peut-il bien se cacher derrière la simple élégance de la digitale pourprée ? Cette plante avec sa multitude de fleurs dressées sur de longues hampes florales peut paraître séduisante à bien des égards. Pourtant nous allons voir que sous une apparente simplicité elle peut se révéler dangereuse car elle recèle de nombreuses propriétés médicinales à utiliser avec prudence.

La planche ici représentée est extraite du tome 3 de Plantes de la France, décrites et peintes d’après nature….publié à Paris par Jean-Henri Jaume de Saint-Hilaire dans une première édition en 4 tomes en 1808-1809 puis une seconde en 10 tomes entre 1819 et 1822.  Botaniste de formation, né à Grasse en 1772 et mort à Paris en 1845, Jaume de Saint-Hilaire a également appris la peinture florale auprès de Gérard van Spaendonck, peintre néerlandais installé en France. Cet enseignement lui a permis de dessiner les 1000 planches de l’ouvrage, gravées ensuite par Dubreuil et Véron selon le procédé de la gravure en couleur au pointillé. Cette technique a été utilisée notamment par Redouté (1759-1840) pour ses célèbres livres sur les roses. Elle permet d’avoir un rendu des couleurs tout en nuances car le modelé est obtenu non par des traits ou des tailles croisées mais par un réseau de points microscopiques, plus ou moins denses. Les valeurs d’un pétale sont ainsi rendues avec fidélité par une gradation plus subtile. Quelques rehauts colorés sont ensuite appliqués à l’aquarelle Portrait de Jaume Saint-Hilaire figurant dans le tome 10 des Plantes de la Francepour affiner les tonalités. A l’image de la délicatesse de ses gravures on retrouve une certaine sensibilité dans la préface de Saint-Hilaire : «L'homme qui étudie avec attention cette immense quantité de végétaux, qui observe la finesse et la simplicité de leurs organes, l'élégance et la variété de leurs formes, la vivacité de leurs couleurs, se trouve pénétré d'admiration... Il semble que les exhalaisons balsamiques des prairies, ou le silence des forêts antiques, en communiquant à nos sens un doux frémissement, changent nos peines en une tendre mélancolie...» . Par ailleurs, on trouve au début de chaque tome un portrait lithographié de botaniste dessiné par Alexis Noël et gravé par Langlumé. Saint-Hilaire a fait le choix d’un classement méthodique, les plantes sont donc regroupées par classe, ce qui ne facilite pas la consultation. Heureusement des tables manuscrites alphabétiques par « nom vulgaire » ont été ajoutées à chaque volume et pour l’ensemble des 10 tomes par l'un de ses anciens possesseurs. Elève du botaniste Antoine-Laurent de Jussieu (1748-1836), il reprend dans cet ouvrage le nouveau système de classification de son professeur. Cette méthode est basée sur l’observation des parentés naturelles des plantes et non plus sur un seul caractère comme l’examen des organes sexuels dans la classification linnéenne. Après une courte description botanique ( floraison, localisation, dénomination, culture) Saint-Hilaire évoque les propriétés médicinales de la digitale pourprée (utilisée à l’époque pour le traitement des scrofules, du croup 1 et des fièvres intermittentes) et ses différents modes de prescription. La digitale pourprée s’administrait donc en poudre, « en infusion aqueuse, à la dose de douze et quinze grains dans une pinte d’eau » mais aussi en décoction de ses feuilles pour un effet purgatif qui pouvait parfois occasionner « des superpurgations fâcheuses ».

Le nom digitale vient du latin digitus qui signifie doigt car l’on peut en effet entrer un doigt en entier dans le creux de ses fleurs. Cela lui a aussi valu divers surnoms comme « doigts de fées », « gants de Notre-Dame », ou encore « doigts de la Vierge » lorsqu’elle fut associée à la Vierge Marie et qu’on lui prêta des fonctions protectrices. Mais contrairement à ce que peut laisser penser la tournure poétique de ces qualificatifs, la digitale n’a traditionnellement pas bonne réputation. En Bretagne, elle était accusée de faire tourner le lait et dans la Vienne, on affirmait qu’une femme ne devait pas la toucher sous peine d’être victime d’hémorragie.

Medicinal plants...(Londres, 1880)C'est en 1542 que Leonard Fuchs, médecin et botaniste allemand donne à cette plante le nom de Digitalis Purpurea dans son célèbre herbier De historia stirpium commentarii insignes . Il y fait une description détaillée de la digitale et apparente ses indications thérapeutiques à celles des plantes vulnéraires, plantes aux « saveurs amères » comme la gentiane jaune pour soigner les blessures, "les oedemes du thorax et des poumons". Il faut attendre la fin du XVIIIe siècle pour que les propriétés de cette plante soient pleinement étudiées. C’est William Withering, médecin et botaniste anglais qui, en 1775, constate par hasard l’efficacité d’une préparation d’herboristerie traditionnelle sur l’hydropisie 2. Parmi la vingtaine de plantes qui composent la décoction, il découvre que l’herbe curative est la digitale pourpre. Il étudie la plante et isole la substance active contenue dans les feuilles de digitale qu’il nomme digitaline. Après 10 ans de travaux, il confirme ses propriétés diurétiques et ses effets régulateurs des contractions cardiaques. L’utilisation thérapeutique moderne de cette molécule sera rendue possible par les travaux du chimiste Claude-Adolphe Nativelle (1812-1889) qui au milieu du 19e siècle obtient la digitaline « à l’état cristallisé ». A cette époque on l’utilise comme cardiotonique, en infusion, en teinture, en sirop ou en vin composé. Aujourd’hui, après avoir été l’objet d’importantes recherches, ce sont deux espèces de digitale qui sont utilisées : la digitalis lanata (digitale laineuse) et la digitalis purpurea (digitale pourpre).  Flore de l'Aude (France, 189?)Les principes actifs extraits de la digitale sont par exemple la digitaline, la digoxine ou la digitoxine, de la famille des hétérosides.  S’ils sont utilisés de manière efficace pour le traitement des insuffisances cardiaques chroniques et ses problèmes associés (asystolie, arythmie, tachycardie…), il n’en reste pas moins que cette substance est à utiliser avec prudence car à forte dose c'est un poison mortel qui peut entraîner de nombreux troubles nerveux (maux de tête, délire hallucinations), digestifs et cardiaques.  D’ailleurs, historiquement la digitale fut incriminée à diverses reprises. Par exemple, en 1864 une affaire secoua le monde judiciaire : le docteur Couty de la Pommerais fut accusé d’avoir empoisonné à la digitaline une amie de façon à récupérer plus rapidement l’héritage qu’elle lui avait promis. Il fut guillotiné sans que l’empoisonnement soit scientifiquement prouvéPar ailleurs, la digitale fut suspectée d’être la cause de la coloration jaune des toiles de Van Gogh 3.

Si la digitale exerce un indéniable pouvoir de séduction sur le promeneur du dimanche, mieux vaut donc rester prudent si l’on croise son chemin. Si l’on a touché la plante fraîche il convient de se laver les mains et il est préférable d’éviter les infusions car 10 grammes de feuilles sèches suffisent à tuer un homme. 

Cet ouvrage fait partie du corpus Flore, où l'on peut trouver d'autres représentations de la digitale pourprée comme dans l'ouvrage Medicinal Plants publié par Robert Bentley et Henry Trimen en 1880 ou bien dans la Flore de l’Aude  d"Athanase Py, manuscrit réalisé vers 1892 et comptant plus de 2600 planches aquarellées.

 

1 Maladie grave affectant les voies réespiratoires (laryngo-trachéo-bronchite)

2 Epanchement de sérosité

3 Michel Paris. "La digitale pourprée dans les deux portraits du Dr Gachet peints par Van Gogh à Auvers en 1890 : symbole ou signe de son utilisation ?", Revue d'Histoire de la Pharmacie. 1996. N°312, pp. 503-507 [en ligne]

Pour en savoir plus :

Tela Botanica : le réseau des botanistes francophones. [site web]

Botanique et médecine anciennes à travers le patrimoine des universités toulousaines. Toulouse : SICD, 2005

Nicolas Simon. Le poison dans l'histoire : crimes et empoisonnements par les végétaux. Sciences pharmaceutiques. 2003. hal-01732872. [en ligne]

 

Posté le 23/03/2021 | Par Anne-Sophie Bouvet

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