D’où vient le safran, précieuse poudre d’une chaude teinte orangée ? De la culture d’une modeste fleur : le crocus sativus (crocus cultivé). Petite plante vivace bulbeuse de la famille des Iridacées, originaire du bassin méditerranéen et d'Asie occidentale, elle fleurit au commencement de l’automne, contrairement au crocus vernus appelé également " crocus printanier ". Le genre Crocus (Crocus) comprend 90 espèces dont un tiers fleurit à l'arrière-saison, ce qui signifie que l'on peut encore croiser son chemin à cette époque de l'année. La fleur de safran comporte 6 pétales violets, trois étamines jaune d'or et un pistil rouge. C'est ce fameux pistil composé de trois stigmates (filaments) qui, une fois séchés, donne l'épice safran.
La planche ici représentée est extraite du second tome des Plantes usuelles, indigènes et exotiques…. publié à Paris en 1807-1808, par le médecin et botaniste Joseph Roques. L’ouvrage est orné de 133 planches gravées sur cuivre, coloriées à la main. Un classement alphabétique simplifiant sa consultation est complété par deux tables situées à la fin du second tome. Roques, après une courte description botanique de l’espèce, décrit les principales propriétés médicinales du safran reconnues à cette époque : " On doit particulièrement utiliser cette substance, lorsqu’on veut favoriser l’hémorragie menstruelle chez les femmes d’une constitution faible et en même tems irritable. Son usage convient aussi dans quelques cas d’affection hystérique, dans le catarrhe pulmonaire, la flatulence, les langueurs d’estomac, etc. ". Ainsi, le safran favoriserait la digestion, serait un stimulant général et provoquerait ou régulariserait les cycles menstruels.
Le terme " crocus sativus " adopté par Linné en 1754 serait une transcription en latin du mot grec krokos qui proviendrait lui-même de l’hébreu Karkôm, qui désigne le safran mais également un fil, ou un filament ce qui semble se référer à la forme de ses longs stigmates. Safran, qui veut dire " jaune " en arabe, vient de l’arabo-persan za ‘faran ou zaperan. L’utilisation du safran remonte à plus de 3500 ans et traverse plusieurs sociétés, continents et civilisations. Initialement, il serait né entre la Turquie et l’Inde, se propageant ensuite autour du bassin méditerranéen oriental. La fleur de safran serait en fait issue d’un ancêtre sauvage certainement d’origine grecque, crocus cartwrightianus, qui à force de croisements donna une forme mutante, le crocus sativus, une espèce stérile.
C’est à partir du IXe siècle que la culture du safran apparaît en Europe occidentale. Les Arabes sont probablement le peuple qui l’apportent en Afrique du Nord, puis elle est diffusée en Espagne musulmane. L’introduction du safran en France fait suite à sa mise en culture en Espagne puis les croisades favorisent davantage encore sa propagation. La culture du safran commence dans le Sud-Ouest de la France, et s’étend progressivement au Quercy à l’Angoumois, au Poitou, à la Touraine et à la Provence. Il est alors largement utilisé comme assaisonnement, parfum, teinture et médicament. On peut ainsi retrouver le safran utilisé comme épice pour aromatiser de nombreux plats typiquement méditerranéens tels que la bouillabaisse, la paella ou le tajine mais aussi comme colorant. En effet grâce à sa composition, riche en pigments caroténoïdes, il a trouvé sa place pour teindre des étoffes comme les toges des moines boudhistes ou comme pigment remplaçant l’or dans les enluminures figurant dans les fresques de la chapelle Sixtine peintes par Michel Ange. Dans l’Egypte antique le safran rentrait dans la composition du parfum sous forme solide nommé " kiphi " sorte d’encens sacré que l’on faisait brûler en l’honneur du Dieu Rê.
Le safran est aussi reconnu pour ses vertus thérapeutiques depuis des siècles ; tout en étant une épice très recherchée pour ses qualités culinaires, il a toujours été utilisé pour ses propriétés médicinales. Il a la réputation d’apaiser de nombreuses affections et divers maux : troubles de l’humeur, crampes, asthme, désordres menstruels, les maladies du foie, les douleurs dentaires. Ainsi, le safran rentre dans la composition du sirop " Delabarre ", élaboré par un docteur dans les années 1850 et encore utilisé de nos jours sous forme de gel gingival pour masser les gencives douloureuses des bébés. C’est à deux de ses composés biologiques actifs, découverts au siècle dernier : la crocine et le safranal que l’on doit la majeure partie de ses activités pharmacologiques. Ceux-ci font encore l’objet de nombreuses études qui pourront peut-être aboutir un jour à l’élaboration d’un médicament. Pour le moment on trouve principalement le safran sous forme de compléments alimentaires à base d’extraits de stigmates séchés. Ceux-ci, riches en safranal et crocine, semblent pouvoir moduler les niveaux de sérotonine, l'hormone du bonheur, au niveau du cerveau faisant du safran un allié pour la santé mentale. Cependant, la cueillette de la fleur, son " épluchage " et le séchage exigent une main d’œuvre considérable : pour obtenir 1 kilo de poudre de safran il faudrait cueillir et traiter 130 000 à 200 000 fleurs. Le coût de la main d’œuvre explique pourquoi on l’appelle également " l'or rouge " car c’est l’épice la plus chère au monde : elle se vend entre 30 et 40 euros le gramme. La production mondiale est à 90% iranienne. Sa culture est marginale en France (environ 58 ha) ; elle se localise principalement dans les régions Occitanie, PACA, Auvergne-Rhône-Alpes et Nouvelle-Aquitaine.
Les Plantes usuelles, indigènes et exotiques…font partie du corpus Flore où l'on peut trouver une autre représentation du crocus sativus dans Medicinal Plants publié par Robert Bentley et Henry Trimen en 1880.
Pour en savoir plus :
Tela Botanica : le réseau des botanistes francophones. [site web]
FranceAgrimer : établissement national des produits de l'agriculture et de la mer [site web]
Claire Palomares. Le safran, précieuse épice ou précieux médicament ?. Sciences pharmaceutiques. 2015. hal-01732922. [en ligne]
Posté le 14/11/2023 | Par Anne-Sophie Bouvet