Les modes d'acquisition des bibliothèques sont nombreux : achats, legs, donations, dons... Il arrive parfois que le hasard s'en mêle ou qu'une part de mystère subsiste. C'est le cas de cet exemplaire ancien des Satires de Juvénal et de Perse publiées à Amsterdam en 1630, entré dans les collections de la BU de Toulouse en 1935.
Ce petit volume porte sur la page de titre une estampille, imposante mais malheureusement illisible, car elle a été grattée. Un examen plus attentif révèle que ce cachet a aussi été apposé sur les pages 100 et 189, mais que les parties correspondantes des feuillets ont été découpées pour le faire disparaître. Ces mutilations sont des indices qui donnent à penser que le volume a été soustrait à son légitime propriétaire. L'examen du registre d'acquisition de l'ancienne section Droit-Lettres de la BU de Toulouse nous apprend que cet exemplaire est entré dans les collections en 1935 par un don manuel1 et a été "trouvé par un étudiant avec tampon universitaire gratté". A priori, rien ne permet de confirmer que le cachet gratté soit celui d'une université. Il serait intéressant de savoir où cet étudiant a trouvé cet ouvrage, mais l'histoire ne le dit pas.
Malgré les mutilations qu'il a subies, ce volume est tout à fait intéressant. Il s'agit d'une édition latine de 1630 de deux oeuvres souvent associées, les Satires de Juvénal et celles de Perse, poètes latins du 1er siècle après Jésus-Christ. De "format poche", elle est imprimée par Willem Jansz Blaeu, plus connu comme auteur d'ouvrages cartographiques et astronomiques. Elle comporte des commentaires du grammairien anglais Thomas Farnaby (1575-1646) et un titre-frontispice gravé sur cuivre, non signé. Cet exemplaire a été par la suite annoté par un lecteur non identifié.
Mais si d'aventure une institution publique française reconnaissait dans cet exemplaire celui qui a disparu de ses collections, notamment grâce à l'estampille, elle serait théoriquement en droit d'en réclamer la restitution. En effet, les livres anciens des bibliothèques appartiennent au domaine public des collectivités dont elles dépendent et, par ce fait, font l'objet de mesures protectrices2. Parmi celles-ci figure l'imprescriptibilité, qui permet aux "personnes publiques propriétaires" de revendiquer les documents patrimoniaux qui sont sortis illégalement de leurs collections domaine public, sans limitation dans le temps. D'où l'intérêt des estampilles, apposées avec soin et discrétion et bien lisibles. Mais cet exemple montre qu'elles ne sont pas infaillibles et doivent être combinées avec d'autres éléments de preuve d'identification (numéros d'inventaire, description précise des particularités d'exemplaires dans les catalogues etc.)
Ce focus permettra peut-être un jour une identification de son ancien propriétaire, ce qui semble très hypothétique, aucune marque de possession probante ne semblant pouvoir être trouvée. Cet exemplaire, qui porte l'estampille de la BU de Toulouse et est inscrit dans ses registres depuis près d'un siècle fait partie des collections de la BU de l'Arsenal3, où il est précieusement conservé dans la réserve.
1 Sans formalités juridiques, contrairement à une donation, qui doit être faite devant notaire
2 Selon le Code Général de la propriété des personnes publiques (CGPPP), art. L. 3111-1.
3 La BU de l'Arsenal (UT1 Capitole) est l'"héritière" de la plupart des collections anciennes de la section Droit-lettres de l'ancienne BU de Toulouse
Posté le 24/06/2022 | Par Marielle Mouranche