Crimes et chicanes : la scandaleuse affaire Violante de Bats

L'affaire Violante de Bats a fait grand bruit à Toulouse au début du 17e siècle. Elle nous est bien connue par l'ouvrage d'un juriste renommé, Guillaume de Ségla (1580?-1640)  magistrat au parlement de Toulouse. Ainsi, dans l'Histoire tragique et arrest de la cour de parlement de Tholose, publiée à Paris en 1613 chez le libraire Lacaille, Segla reconstitue le déroulement d’une affaire criminelle qui a soulevé l’opinion publique toulousaine au cours de l’année 1608. 

Cette affaire met en scène une jeune veuve portugaise, Violante Bats du Château1, installée à Toulouse depuis 1603 avec son père et ses deux frères respectivement médecin et clerc. Elle prend pour amants quatre hommes issus des milieux religieux et juridiques de la ville qui se connaissent et acceptent cette situation. Deux notables : Arias Burdeus, professeur de théologie et religieux augustin ainsi que François Gairaud qui occupait la charge de conseiller au parlement de Toulouse depuis 35 ans. D'une condition sociale plus modeste viennent ensuite le greffier François Esbaldit puis Antoine Candolas, élève de Burdeus. En 1608 Violante se remarie avec Pierre Romain, un avocat qui lui interdit de revoir ses amants toulousains et la confine dans sa demeure de Gimont située dans le Gers à une cinquantaine de kilomètres de Toulouse. Au début du mois de juillet 1608, Pierre Romain venu à Toulouse pour ses affaires et résidant chez le conseiller Gairaud, se fait poignarder à mort un soir par des spadassins au retour d’une promenade. Une action judiciaire est menée par le parlement de Toulouse de juillet 1608 à février 1609 contre Violante et ses quatre amants soupçonnés d’avoir commandité cet assassinat.Lieu où s'est déroulé le meurtre. Partie du "Plan de Tolose [Toulouse] divisé en huit capitoulats". Source gallica.bnf.fr / BnF

 

 

 

L’ouvrage de Ségla, publié à Paris en 1613, soit quelques années après les faits, débute par un récit très romanesque de l’affaire qui s’apparente au genre littéraire des histoires tragiques en vogue au début du 17e siècle. Ce récit est tiré du rapport présenté par l'auteur devant les juges de la chambre criminelle du parlement et s'accompagne de cent-trente annotations érudites. Viennent ensuite les procès de chaque protagoniste qui en raison de l'atrocité du crime sont jugés selon "la voie extraordinaire" puis tous reconnus coupables et condamnés à mort comme en témoignent les extraits des registres du parlement. On y apprend que Burdeus, Candolas et Violante ont de plus été soumis à la question préalable2 avant leur exécution  qui sert à faire dénoncer les complices éventuels avant l’exécution : « la question lui sera baillee dans le Palais pour fçavoir la vérité des complices ». Il faut souligner le fait qu’à cette époque les instructions jugées selon "la voie extraordinaire" se déroulent sous le sceau du secret et que dévoiler le délibéré des juges comme la pratique de la torture judiciaire est totalement contraire aux règles d'usage. Autre singularité :  les annotations de Ségla qui font suite au récit de l’affaire concernent des questions diverses dont différentes hypothèses sur les motivations de Violante mais finalement peu de points de droit. Elles sont en outre jalonnées de citations inspirées par la culture humaniste mais aussi d’opinions argumentées de façon très personnelle, ce qui est inhabituel : « Maintenant il me suffira de dire que, n’y ayant aucun tesmoin qui déposait qu’il eust commis n’y monopolé ledit meurtre, ny que le bruit & renommée fust qu’il eust fait ou conseillé. Comment le pouvoit-on condamner à mort ? ».

Si dans cette citation Ségla est plutôt indulgent avec Burdeus, il est bien plus sévère avec Violante dont la participation active à l’assassinat de Romain ne fait pour lui aucun doute. Celle-ci comparait devant ses juges le 16 février 1609 :

"Voicy la misérable Violante qui vient à la catastrophe de cette sanglante tragédie, comme en estant l’argument et le subject. Elle se présente non point avec ses ris et mignardises qui servoient d’appas à ses amans. Mais avec son visage hydeux et espouvantable pour les crimes d’impudicité, d’adultère, inceste, sacrilège, trahison, meurtre et assassinat dont elle est accusée, et presque convaincue de tous ensemble".

Cette tirade misogyne démontre que pour l'auteur Violante cumule de multiples travers, elle est femme, étrangère et veuve : "La vérité est que les estrangères ont esté cause de beaucoup de malheurs et sinistres accidens, tesmoing l’amour que Salomon porta à des estrangères qui le fit idolâtrer des Dieux estangers" (...) " il n’y a rien de si chatoüilleux que la réputation d’une femme et d’une veuve". Ségla est beaucoup moins clément avec Violante qu'avec ses amants : "Si Violante qui avoit causé la mort de son mary, et à quatre des autheurs ou complices d’icelle, eust esté exempte de peine, où eust été la justice ?" car  celle-ci aurait reconnu qu’« elle avoit presté consentement au meurtre de Romain son mary ». et qu’« elle savoit que Burdeus, Gairaud, Candolas et Esbaldit se vouloient se venger de feu Romain et qu’elle croyoit qu’ils estaient tous consens à sa mort » Ces propos lui attribuent une responsabilité  que les juges ont qualifié de décisive dans le meurtre de son mari : son consentement. Elle n'aurait pas été l'instigatrice du meurtre mais y aurait seulemment consenti et pour cela elle subira la même peine que ses amants. Selon Ségla, il y aurait trois mobiles à ce consentement. Le premier serait la luxure, Violante refusant d'être tenue à l'écart de ses amants. Le second serait la cupidité, son mari étant désargenté et le troisième l'ambition : retrouver une indépendance inconvenante pour une femme que pouvait assurer un veuvage fortuné3.

Dans cette chronique criminellle la justice défendue par Ségla montre une volonté de juger en conscience du juste et du vrai selon des bases religieuses et des principes de moralité qui à cette époque banissaient le libertinage de moeurs et d'idées et punissait le simple consentement. Il reste que si les cinq personnes impliquées à différents degrés dans l'élaboration de ce crime ont été executées, non pas au regard de preuves tangibles mais à la suite d'aveux provoqués, les tueurs à gage étaient eux toujours en liberté. Un seul d'entre eux finit tout de même par être appréhendé en 1612 et ceci par pur hasard. Il fut condamné à mort après avoir confessé le crime pendant son supplice.

 

"Supplicium sceleri froenum". Eau-forte de Jacques Callot, Nancy (vers 1628-1630). Source gallica.bnf.fr / BnF

 

Le philosophe d'origine ariégoise Pierre Bayle consacre dans son Dictionnnaire historique et critique publié en 1702 un article à Guillaume de Ségla où il relate également cette histoire tragique. Il insiste sur l’inconduite du théologien Burdeus en évoquant le soupçon de relation sexuelle avec Violante pendant une confession, fait dont doutait Ségla. Il établit également un rapprochement entre l'Histoire tragique de Guillaume de Ségla et l'Arrest mémorable de Jean de Coras publiée en 1561 et réédité en 1565 qui relate le procès du faux Martin Guerre. Rapporteur du procès, Coras publie comme Ségla un texte qui dévoile lui aussi les secrets de l'instruction même si son opinion personnelle y est moins apparente. Si l'Arrest mémorable de Coras fut un véritable succès de librairie, l'Histoire tragique de Ségla attendra le 19e siècle pour être redécouverte.

 

Cet ouvrage a appartenu à la collection Fernand Pifteau, il fait partie du sous-corpus procès toulousains.

 

1. Son nom d'origine est "Vaz Castelo"

2. A Toulouse, la question était infligée principalement sous une forme d'estrapade qui consistait à attacher les quatre membres du prévenu à des liens qui étaient tendus pour les étirer en tous sens ; l'instrument du supplice était manoeuvré par une vis (bouton). L'épreuve de l'eau était aussi pratiqué mais pour les hommes seulement, Silverman (L.), op. cit., p. 96.

3. Violante a intenté une action en justice pour recupérer une partie de la dot que son père ne lui aurait pas restituée à la mort de son premier mari , Libral (F.), op. cit., p. 34.

 

Pour en savoir plus :

Poumarède, Jacques. "De l’Arrêt mémorable de Coras (1561) à l’Histoire tragique (1613) de Ségla. L’invention de la chronique criminelle". Annales du Midi. 120, n°264, oct-déc. 2008, pp. 503-534 [en ligne]

Humbert, Sylvie. « La chronique judiciaire du Moyen Âge à nos jours », Histoire de la justice, vol. 20, no. 1, 2010, pp. 5-11 [en ligne]

Libral Florent. "L'histoire tragique, miroir d'une élite hypocrite ? L'affaire crimminelle Violante de Bats selon Ségla" dans Bisconti Donatella et al."Esclandre. Figures et dynamiques du scandale du Moyen Âge à nos jours",  Macerata, EUM, 2021, pp.27-44 [en ligne]

Silverman, Lisa. Tortured Subjects. Pain, Truth, and the Body in Early Modern France, London, University of Chicago Press, 2001

Beauvalet-Boutouyrie, Etre veuve sous l'Ancien Régime, [préface de Jean-Pierre Bardet], Paris, Belin, 2001

Posté le 11/04/2023 | Par Anne-Sophie Bouvet

NOUS CONTACTER
Tolosana Université de Toulouse