Emile Cartailhac

La mise en ligne des archives d’Emile Cartailhac conservées en Midi-Pyrénées, permet de réunir des documents en très grande majorité inédits, dispersés entre plusieurs institutions.

  • Le fonds d’archives légué par Emile Cartailhac à son ami Henri Begouën (1863-1953), conservé par l’Association Louis Begouën au laboratoire de la Préhistoire de Pujol, Montesquieu-Avantès (Ariège)
  • L’ensemble de documents retrouvé récemment dans l’ancienne maison de Cartailhac. acquis par le Muséum d’histoire naturelle de Toulouse en 2012 et déposé aux Archives municipales
  • Le fonds d’archives du Muséum d’histoire naturelle de Toulouse, déposé aux Archives municipales
  • Le fonds de brochures annotées, conservé à l’Institut d’art préhistorique de l’Université Toulouse 2 jusqu’à sa disparition en 1991, et désormais à la Bibliothèque universitaire centrale de l’université Toulouse 2, après un passage à la bibliothèque de l’UFR d’Histoire, Art et Archéologie .

L’ensemble le plus notable est formé par la correspondance reçue par Emile Cartailhac : près de 6000 lettres ont pu être ainsi rassemblées. La mise en ligne des lettres envoyées par Henri Breuil n’est pas encore effective. Elles seront prochainement éditées dans le cadre d'un projet de publication conduit en partenariat avec le MHN-Toulouse, l'Association Louis-Bégouën, le MnHN de Paris, le PCR Archives Cartailhac, ainsi que le laboratoire TRACES". Une autre partie des archives d’Emile Cartailhac est conservée à l’Institut de paléontologie humaine (Paris).

A consulter également : Le voyage en Grèce d'Emile Cartailhac en 1896 : une exposition virtuelle.

 

 


Émile Cartailhac naît en février 1845 à Marseille, où son père est inspecteur des douanes. Lorsque le père est muté à Lyon, la famille s’y installe pour plusieurs années. C’est là que le jeune Émile entre au lycée et débute ses études secondaires. À la retraite du père en 1860, la famille, qui possède quelques métairies près de Saint-Affrique en Aveyron, souhaite se rapprocher du Rouergue et déménage à Toulouse. Cartailhac a alors quinze ans. Il achève son cycle secondaire au lycée de Toulouse (aujourd’hui Lycée Pierre de Fermat), et bien que peu motivé par cette perspective, y fait son droit.

En marge de ses études, il réalise ses premières fouilles dans les dolmens aveyronnais où il récolte, répertorie et restaure un mobilier riche et fourni qu’il lèguera plus tard au muséum de Toulouse. Passionné d’histoire locale et d’archéologie, il exerce sa curiosité et s’intègre rapidement à la vie intellectuelle toulousaine. Sensible au débat sur l’existence de l’homme fossile1, qui agite alors la communauté scientifique, et aux diverses questions débattues dans les sociétés d’histoire et d’archéologie, il se révèle déjà – il n’a pas encore vingt ans – particulièrement dynamique, ce qui lui vaut d’être rapidement repéré par les autorités scientifiques de l’époque.

En effet, lorsqu’en 1865 Edouard Filhol (1814-1883) fonde le muséum d’Histoire naturelle de Toulouse, Cartailhac assiste le naturaliste Eugène Trutat (1840-1910) dans l’organisation de la galerie des Cavernes de la section d’Anthropologie. Cette galerie toulousaine est la première d’Europe à présenter les produits des industries préhistoriques. Objets de pierre et d’os, parures, et diverses pièces de mobilier archéologique y sont exposés au public qui peut ainsi observer les traces laissées dans le sol par les premières populations humaines. Au fil des ans, sa participation aux activités du muséum s’accroît. Outre ses travaux de muséographe et d’assistant de conservation, il donne régulièrement des conférences dans les salles du musée afin de présenter le mobilier et de sensibiliser à l’intérêt des recherches archéologiques un public mêlant étudiants et curieux.

En 1867 se tient l’Exposition universelle de Paris. Encore une fois, c’est le jeune Cartailhac qui est choisi pour assister le paléontologue Edouard Lartet (1801-1871) et le préhistorien Gabriel de Mortillet (1821-1898) dans l’organisation de la « Galerie de l’histoire du travail » où sont présentées les plus grandes collections archéologiques nationales. Cette même année, se tient le premier Congrès International d’Archéologie préhistorique : Emile Cartailhac est le secrétaire adjoint, ainsi en décide Mortillet, une des hautes autorités préhistoriennes du XIXe siècle. À vingt-deux ans, Cartailhac s’impose dès lors comme une figure incontournable de la discipline.

En cette seconde moitié de XIXe siècle, l’archéologie préhistorique ne constitue pas une activité professionnelle. Elle ne possède pas encore les structures institutionnelles académiques qui lui permettraient d’exister comme un domaine officiellement reconnu au sein de la cité scientifique. Ses acteurs sont donc, pour une majorité d’entre eux, des amateurs qui tirent leurs ressources d’une activité professionnelle parallèle et pratiquent l’archéologie et la préhistoire en loisirs. Dans ce paysage, Emile Cartailhac apparaît comme un personnage relativement atypique. En effet, s’il accède au barreau toulousain en 1868, il est peu attiré par la profession d’avocat et renonce bientôt à exercer cette activité. Vivant de rentes familiales dont il a héritées, il se consacre ainsi entièrement à ses travaux et recherches d’archéologue et d’anthropologue. La rémunération versée par la municipalité au titre de ses activités au sein du Muséum demeure modeste, aussi engage-t-il d’importants fonds personnels dans ses différents projets d’études et de recherche.

Tel est le cas lorsqu’en 1869, pour la somme de deux mille francs, Mortillet lui cède la revue Matériaux pour une histoire positive et philosophique de l’homme, qu’il a fondée en 1864. Auparavant tribune politique radicale et anticléricale, le périodique connaît, sous la direction de Cartailhac et Trutat, un changement d’orientation de sa ligne éditoriale, ce que reflète d’ailleurs la reformulation de son titre (Matériaux pour l’histoire naturelle et primitive de l’homme). Important organe de diffusion des savoirs et des découvertes, la revue devient un espace de discussions qui exclue toute polémique philosophique ou politique. Durant son existence jusqu’en 1889, le périodique aspire non seulement de larges ressources financières personnelles nécessaires à son maintien, mais aussi une grande partie du temps et de l’énergie de Cartailhac.

Pendant ces deux décennies, Emile Cartailhac poursuit pourtant activement ses recherches en France et à l’étranger et publie quelques monographies, dont une sur la préhistoire ibérique2 et une autre sur le mégalithisme des îles Baléares3, ouvrages qui ne rencontrent cependant qu’un succès modeste. Il parcourt également l’Europe et se rend à tous les congrès d’archéologie préhistorique, donne de nombreuses conférences, entretient une correspondance active avec de nombreux confrères français et étrangers, visite les musées d’Europe et participe aux grands débats scientifiques de son époque.

Avec le soutien de quelques personnalités du conseil municipal, il inaugure en 1882 un cours libre d’Histoire naturelle de l’homme à la faculté des Sciences de Toulouse, premier enseignement de ce type en France, qui rassemble un public nombreux et assidu. Il a alors pour assistant Marcellin Boule (1861-1942), qui deviendra un paléontologue renommé. En 1888, après une parenthèse en politique durant laquelle Cartailhac siège au conseil de la ville (1884-1888) et œuvre pour le développement des universités et du muséum, son cours est supprimé. Ce n’est qu’en 1891 que ce cours d’Anthropologie réapparaît, à la faculté de Lettres cette fois, attirant un public toujours plus nombreux. Cartailhac assurera cet enseignement jusqu’à sa mort en 1921.

Parmi les grandes étapes de sa carrière scientifique, sa participation au débat pour la reconnaissance de l’art pariétal préhistorique apparaît comme un important jalon. Cartailhac se montre d’abord hostile aux conclusions de Marcelino Sainz de Sautuola (1831-1888), découvreur des peintures de la grotte d’Altamira (Santander, Espagne) en 1878. L’ensemble de la communauté scientifique refuse en effet de reconnaître dans ces peintures l’œuvre de préhistoriques, alors jugés trop « primitifs » pour en être les auteurs. Ainsi, et de façon presque unanime, les savants français se rangent derrière les positions de Mortillet, chef de file incontesté de la préhistoire française en cette seconde moitié de XIXe siècle, et le silence se fait autour de ces découvertes. Mais vingt ans plus tard, alors que Mortillet n’est plus, de nouvelles découvertes, françaises cette fois, relancent les discussions. Les grottes ornées des Combarelles et de Font-de-Gaume (Les Eyzies-de-Tayac, Dordogne), entre autres, fournissent aux préhistoriens de nouveaux matériaux de réflexion. Menée par un jeune abbé, Henri Breuil (1877-1961), une nouvelle génération de préhistoriens s’empare donc à nouveau de la question et tranche finalement en faveur de l’authenticité des peintures. En 1902, Cartailhac, revenant sur ses positions antérieures, rejoint alors le camp des convaincus et publie un article resté célèbre dans lequel il reconnaît son erreur4. Il se lance alors aux côtés de Breuil dans l’exploration de cavernes, nouvelles ou anciennement connues, et participe à la découverte de plusieurs sites majeurs de l’art rupestre pyrénéen.

Scientifique pragmatique et curieux, Emile Cartailhac ne fut pas un homme de système. Il manipulait les classifications de ses collègues avec une grande et rare prudence, mettait volontiers en avant ses doutes, les impasses et les contradictions intellectuelles qui se présentaient à lui lorsque, tentant d’interpréter les faits, il ne pouvait se résigner à trancher en faveur de telle ou telle théorie. Son ouvrage La France préhistorique d’après les sépultures et monuments5, paru en 1889, témoigne certes d’un esprit de synthèse pratique, mais aussi de la distance qu’il entretenait volontairement avec les constructions intellectuelles trop rigides. Autodidacte comme la plupart de ses contemporains, il fut également un grand pédagogue soucieux d’apporter la science au public. C’est d’ailleurs à la veille d’une conférence qu’il devait donner à l’Université de Genève qu’il est rattrapé par son grand âge. Il s’éteint le 21 novembre 1921, laissant à la préhistoire française, plutôt qu’un héritage scientifique incontestable, le souvenir d’un de ses premiers et plus actifs promoteurs.

S. Dubois

1. Débat fondateur auquel participe activement à Paris son oncle, Armand de Quatrefages, naturaliste renommé et professeur au muséum d’histoire naturelle de la capitale. 2. Les âges préhistoriques de l’Espagne et du Portugal, résultats d’une mission scientifique du Ministère de l’Instruction publique, Paris, Reinwald, 1886 3. Monuments primitifs des Iles Baléares, Toulouse, Privat, 1892 4. Les cavernes ornées de dessins. La grotte d’Altamira, Espagne. « Mea culpa » d’un sceptique, in L’Anthropologie, XIII, 1902, pp. 350-352 5. La France préhistorique d’après les sépultures et les monuments, Paris, Baillière, 1889

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