Perles rares : l'unique exemplaire d'une mazarinade toulousaine

On dénombre près de 6000 mazarinades, brochures polémiques dont la plupart sont hostiles au cardinal Mazarin, ministre de Louis XIV. Elles ont été publiées de 1648 à 1653 lors de la Fronde, période de graves troubles suite à la révolte des parlementaires et des grands seigneurs destinée à diminuer l’étendue du pouvoir royal et lutter contre le cardinal Mazarin. Les mazarinades imprimées hors de Paris ne représentent qu’une petite minorité de ces libelles, dont une infime partie éditées à Toulouse : leur recensement exhaustif reste à faire, mais on peut estimer que leur nombre ne dépasse guère la cinquantaine, dont quelques unités seulement ne sont pas des rééditions de libelles parisiens. Les Chants royaux, dictés aux Jeux fleuraux dans Tolose, le premier may 1651. Sur la déroute mazarine, publiés à Toulouse en 1651 de façon anonyme, en font partie. Ni l’auteur ni l’imprimeur n’ont été identifiés, mais le titre annonce la couleur sans ambiguïté : il s’agit bien d’une publication contre Mazarin ; il précise également que ces Chants royaux ont été lus devant le Collège de Rhétorique en mai 16511.

Cette brochure contient deux textes : l’un en français, « Chant royal sur le sujet du temps » et l’autre en occitan, « Cant royal. La felicitat passajero ». Ils adoptent tous les deux la forme du chant royal, poème de 5 strophes dont chacune s’achève par un refrain, et qui se conclut par un « envoi » qui contient l'explication du poème et la reprise du refrain. Ils prennent clairement le parti des princes contre Mazarin, ce qui est très net dans la clef donnée en conclusion.

 

Il s’agit de Gaston d’Orléans (1608-1660) et de Louis II de Bourbon Condé, dit le Grand Condé (1621-1686), princes du sang (respectivement oncles et cousin de Louis XIV) et meneurs de la Fronde.

 

 

Traduction

"Le Pin, dans mes vers, a représenté Condé / dont la maison, de toute ancienneté / A élevé la gloire sur de fermes fondements / Et de toi, Mazarin montre l’infirmité"2

La forme relativement soignée de ces mazarinades, tant sur le plan littéraire que matérielle est assez atypique, car ce genre de document était le plus souvent vite rédigé et imprimé à coût réduit, sur du papier de piètre qualité, pour être largement diffusé. Ici, les textes suivent les règles d'une forme poétique académique, la qualité du papier est correcte, la gravure représentant  les armes de la ville de Toulouse illustrant la page de titre est d’assez bonne facture, ainsi que les bandeaux placés en tête de chaque mazarinade. On peut supposer que ces textes ont surtout été écrits pour obtenir un prix, avec un thème dans l'air du temps. Ils ne semblent guère avoir été diffusés, car on n’en connaît aucune autre édition.

L'exemplaire ici présenté était considéré en 1846 par son possesseur de l'époque, l'archéologue Alexandre Du Mège, comme le seul conservé (un unicum)3. Près de deux siècles plus tard, il semble que cette assertion soit toujours valable, car on n'en connaît aucun autre à ce jour4. Il faisait partie, avec 6 autres mazarinades non recensées par les bibliographies, d'un recueil qui était conservé au XIXe siècle dans un emboîtage cartonné5. Pour quatre d'entre elles, le lieu d'impression mentionné est Toulouse, ce qui peut laisser supposer que les deux autres, sans adresse, sont aussi imprimées dans cette ville. Elles sont toutes en ligne sur Tolosana.
Ces mazarinades ont été acquises à la fin du XIXe siècle par Frix Taillade, dont la collection a été achetée par la bibliothèque universitaire de Toulouse en 1906. Malheureusement, elles ont été reliées par la bibliothèque dans un recueil factice, avec d’autres brochures du même collectionneur, dans une reliure de qualité médiocre, assez serrée. Il ne subsiste aucune trace de l'emboîtage, éliminé soit par F.Taillade, soit par la bibliothèque. Elles sont désormais conservées à la Bibliothèque universitaire de l'Arsenal (UT1 Capitole).

Frix Taillade a publié ces Chants royaux dans le 2e tome de Poésies gasconnes recueillies et publiées par F.T., dont le manuscrit est aussi conservé à la BU de l'Arsenal.

 

 

 

1 - Ancien nom de l'Académie des Jeux floraux ; cette même année, Grégoire Barutel présente devant le Collège de Rhétorique deux autres mazarinades, en occitan, "L'Ensesaquanet"  et "l'Estapo", qui adoptent elles aussi la forme du chant royal, et dont la première est primée.

2 - cf J.-F. Courouau, "Une "victoiree de l'occitan aux Jeaux floraux..." dans Le chant royal toulousain d'expression française et occitane, 2004

3 - A. Du Mège. Histoire des institutions... de la ville de Toulouse, t. 4, 1846 ; Joseph Michelet, Poètes gascons du Gers, 1904.

4 - Le caractère unique des exemplaires d'une édition affirmé au XIXe siècle ne résiste pas souvent aux recherches actuelles : le recensement est beaucoup plus complet de nos jours - surtout pour ce type de document - et les ressources offertes en ligne facilitent le travail.

5 - D'après Joseph Michelet, Poètes gascons du Gers, 1904

Pour en savoir plus

Bibliothèque mazarine. Mazarinades (1648-1653) : la Fronde, les mots, les presses. [Exposition virtuelle, 2021]  En ligne

Le chant royal toulousain d'expression française et occitane (XVIe-XVIIe siècles), études recueillies par Philippe Gardy, Revue des langues romanes, t.  CVIII, Année 2004, n°1

Posté le 28/05/2021 | Par Marielle Mouranche

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