Perles rares : des arbres de parenté à découvrir dans un traité toulousain du XVIe siècle.

La détermination les liens de parenté est très utile aux juristes anciens pour appliquer les règles de mariage (interdiction des mariages consanguins) ou de succession. Leur complexité a rapidement conduit à concevoir des représentations figurées pour les rendre plus explicites, dont la forme la plus connue, l’arbre, est l’un des ancêtres de nos arbres généalogiques actuels. On en trouve de beaux exemples dans le traité Nova arboris utriusque… juris concinnatio, publié en 1538 par Bérenger Fernand (15..-1567), professeur de droit à l’Université de Toulouse, qui compare les solutions apportées aux problèmes posés par la parenté par le droit canonique et le droit romain.

En droit canonique (qui régit notamment les matières liées aux sacrements, donc au mariage) il s’agit de déterminer les degrés de parenté ou d’alliance entre deux futurs époux pour vérifier si le mariage ne relève pas de la liste des unions prohibées en raisons des liens entre les époux. En droit romain, qui s’applique en « pays » de droit écrit (pour la France, la partie méridionale) pour les matières civiles, il s’agit de déterminer les héritiers en cas de succession.

La première partie de l’ouvrage est consacrée à l’arbor consanguinitatis, (arbre de consanguinité ou de parenté). Ce type de représentation est utilisé en droit canonique comme en droit romain. À partir d’un personnage central, Ego, représenté, comme il est fréquent, par une petite tête barbue, les descendants et les ascendants directs sont figurés sur un axe vertical tandis que les collatéraux se répartissent de part et d’autre. Dans chaque cercle, on trouve le nom du parent par rapport à Ego (filius, avus, soror, etc.), accompagné de deux chiffres romains : celui placé en haut indique le nombre de degrés « canoniques » qui séparent Ego des autres membres de sa famille et celui placé en bas le nombre de « degrés romains ». Car le système de comptage n’est pas le même pour les deux droits... En droit canon, seuls sont comptés les intervalles qui remontent à l’ancêtre commun ; en droit romain, les degrés sont calculés en comptant les intervalles qui remontent à l’ancêtre commun et ceux qui en redescendent. Ainsi, des cousins germains sont parents au 4e degré en droit romain mais seulement au 2e degré en droit canonique. Il faut savoir que sous l’Ancien Régime, les mariages entre consanguins sont prohibés jusqu’au 4e degré de parenté, soit des personnes ayant un arrière-arrière grand parent commun (mais des dispenses peuvent dans certains cas être accordées par l’Eglise).

Les deux autres parties présentent des «arbres» (au sens de schéma) qui nous sont beaucoup moins familiers : l’arbor affinitatis (arbre des affinités) et l’arbor cognationis (arbre de cognation – ou d’affinités – spirituelles). Ce sont des outils pour les juristes canonistes, car la consanguinité n’est pas le seul lien entre deux futurs époux qui peut empêcher un mariage : il existe aussi les affinités naturelles et les affinités spirituelles. Les premières (parenté par alliance) lient l’époux à tous les consanguins de l’épouse, et inversement : par exemple, une veuve ne peut se remarier avec son beau-frère, ou le cousin de son mari1.  Les affinités spirituelles sont formées par le sacrement de baptême : entre la personne baptisée et ses parrains et marraines, mais aussi entre les parrains et marraines et les parents de l’enfant.

Le traité Nova arboris... concinatio a été publié pour a première fois en 1538 à Toulouse par Nicolas Vieillard, dont la devise «Judicium mutabile» figure sur la page de titre. L'exemplaire ici présenté provient du fonds Pifteau de la BU de l'Arsenal (UT1 Capitole). Il est rès rare puisqu’on n’en recense que 3 autres au monde2. Une deuxième édition a paru en 1542, toujours à Toulouse, chez Guyon Boudeville, avec les mêmes illustrations3.

Ce livre fait partie des Corpus  «Impressions toulousaines des 15e et 16e siècles»  et «Droit et sciences juridiques à Toulouse».

 

1 - L'empêchement s'étend la aussi au 4e degré.  A l'heure actuelle, il existe toujours des liens de parenté ou l'alliance qui peuvent interdir des mariages : entre frères et sœurs, parents et enfants (même en cas d'adoption,) beaux-parents et beaux-enfants, oncle ou tante et neveu ou nièce... (une dispense peut dans certains cas être accordées par le président de la République).

2 - Ils sont conservés à la bibliothèque municipale de Lyon, à la Bibliothèque d’Etat de Bavière et à la bibliothèque universitaire de Séville

3 - On en recense 2 exemplaires, à la Bibliothèque nationale de France et à la bibliothèque municipale de Toulouse.

 

Pour en savoir plus :

Claire Giordanengo. "Le droit enseigné par l’image (2/2) : illustrer les degrés de parenté", Interfaces, carnet de recherche Hypothèses de la Bibliothèque Diderot de Lyon, 2012.  En ligne

Dictionnaire historique des juristes français (XIIe-XXe siècle). Pub. sous la dir. de P. Arabeyre, J.-L. Halphérin, J. Krynen. Paris, PUF, 2007

 

Posté le 19/01/2021 | Par Marielle Mouranche

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