Images à découvrir : un exemplaire annoté des emblèmes d’Alciat

S’il est un ouvrage que l’on peut qualifier d’emblématique, c’est bien les Omnia Andreae Alciati V. C. emblemata, dont la première édition, en latin, paraît à Augsbourg en 1531. Premier livre d’emblèmes, caractérisé par l’association sur une même page, d’un titre, d’une épigramme et d’une gravure ce petit recueil rencontre, dès sa sortie, un vif succès. Diffusé par les meilleurs imprimeurs à Paris, Lyon ou Anvers, le nombre d’emblèmes augmente au fil des éditions, jusqu’à dépasser les 200 dans les premières éditions complètes, parues à Lyon en 1548 et 1551. Un nouveau genre littéraire est né, qui restera en vogue pendant près de deux siècles.

L’auteur de cet ouvrage est André Alciat (1492-1550), juriste et poète piémontais, qui est également «l’inventeur» du mot emblematum. L’emblème était toutefois connu avant Alciat. Selon l’humaniste Guillaume Budé (1467-1540), il désignait dans l’Antiquité une marqueterie, une mosaïque, « un ornement provisoire et détachable, quelque chose qu’on enchâsse et qu’on enserre ». Au XVIIe siècle, l’emblème est défini par Claude-François Ménestrier dans L’art des emblèmes publié en 1662 comme « une représentation symbolique dont l’application ingénieuse, expliquée par une sentence ou par quelques vers, exprime quelque enseignement moral ou savant. »

La finalité des livres d’emblèmes est certes souvent morale en se proposant d’expliciter maximes, proverbes ou adages. Mais leur intérêt ne s’arrête pas là : les illustrations, qui exigent un décodage et traduisent le goût de l’époque pour les énigmes, fournissent également un réservoir d’images et de figures dans lequel puisent peintres et poètes.

Le recueil d’emblèmes d’Alciat est défini par une organisation particulière de la page. L’emblema triplex est composé de trois éléments qui interagissent entre eux :

- une sentence ou un titre, appelé motto, presque toujours en latin et souvent énigmatique ;

- une image ou pictura, gravure sur bois ou sur métal, dont le rôle est esthétique et mnémotechnique ; comme toute image codée, elle s’appuie sur des attributs, des symboles et des allégories ;

- une explication ou épigramme appelée subscriptio : faite en vers souvent accompagnée de prose, elle commence par une description de l’emblème, puis précise, en principe, le sens de celui-ci.

L’emblème est donc une forme littéraire symbolique qui mêle poésie et art pictural et où image et texte se complètent.

L’édition ici présentée a été publiée par l’imprimeur anversois Christophe Plantin (1520-1589) qui s’est intéressé dès 1565 aux emblèmes d’Alciat, et en a publié plusieurs éditions. Celle de 1574 est accompagnée des commentaires du juriste d’origine dijonnaise Claude Mignault (1536-1606), professeur de droit canonique à Paris. De tous les commentaires d’Alciat, celui de Mignault est le plus important, allant jusqu'à effacer visuellement le système de mise en page de l’emblème.

L’emblème 118 intitulé Virtuti fortuna comes [Fortune est compagne de la vertu] est l’un des plus célèbres du recueil et a fait l’objet de nombreuses recherches.  Le titre est repris d’un motto plus ancien. Alciat y a joint une illustration représentant un caducée ailé entre deux cornes d’abondance. L’épigramme latine en donne l’explication, dont voici la traduction :

« Avec ses serpents enlacés, le caducée aux ailes doubles

Entre les cornes d’Amalthée se tient dressé :

Ceux qui brillent par l’esprit et l’éloquence, il montre ainsi

Qu’une opulente abondance de biens les comble. »

L’alliance de la corne d’Amalthée1, symbole d’abondance, et du caducée, symbole de paix et attribut de Mercure, dieu de l’éloquence, est très ancienne. Fréquemment utilisée pour les médailles romaines, l’Antiquité en a même fait le double attribut de la Félicité.

Dans l’esprit d’Alciat, l’association de l’esprit et de l’éloquence pourrait évoquer de manière plus générale la conception du lettré humaniste. Virtuti fortuna comes fut d’ailleurs adopté par Alciat comme devise personnelle. L’humaniste Paul Jove (1483-1552) dira ainsi que « le très savant André Alciat […] portait aussi le caducée de Mercure avec la corne de la richesse de la chèvre Amalthée, voulant dire qu’avec l’abondance du savoir et le talent des belles-lettres dont on fait de Mercure le patron, il a vu ses efforts couronnés par une récompense méritée ». Ces motifs iconographiques ainsi que la devise Virtuti fortuna comes figurent également sur le tombeau d’André Alciat, situé à Pavie, ainsi lié à son œuvre par-delà la mort.

Cet exemplaire a fait l'objet, probablement au XVIe siècle, de nombreuses annotations dont l'auteur n'a pas été identifié. Il provient du «fonds Montauban» et fait partie du corpus Livres annotés.

1 - Amalthée est la mère nourricière de Zeus, représentée sous la forme d'une chèvre ou sous les traits d'une nymphe. Zeus, ayant brisé maladroitement une des cornes d'Amalthée, lui promit que celle-ci se remplirait miraculeusement de fleurs et de fruits : c'est la corne d'abondance.

Pour en savoir plus :   

Andenmatten, Anne-Angélique. Les Emblèmes d’André Alciat. Bern : Peter Lang, 2017 [en ligne]

Rolet, Anne ; Rolet, Stéphane. André Alciat (1492-1550) : un humaniste au confluent des savoirs dans l’Europe de la Renaissance. Turnhout : Brepols, 2013

Chatelain, Jean-Marc. Livres d’emblèmes et de devises : une anthologie (1531-1735). Paris : Klincksieck, 1993

Paultre, Roger. Les images du livre : emblèmes et devises. Paris : Hermann, 1991

Posté le 01/12/2020 | Par Frédérique Laval

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