Images à découvrir : la chair à vif ou le corps humain représenté pour la première fois en planches lithographiées

Dès l’Antiquité, pour mieux comprendre le vivant, quelques médecins ont pratiqué des dissections anatomiques sur des cadavres humains. On fragmente le corps, on le met en pièces, afin d’apprendre à mieux le connaître. Interdite jusqu’au XIIIe siècle puis tolérée par l'Eglise, l'ouverture de corps morts, à des fins d'enseignement et de recherche, se généralise à la Renaissance et cet intérêt pour l’art de l’anatomie se prolonge durablement. Mais, au XIXe siècle, la révolution lithographique marque un tournant dans l’histoire des atlas d’anatomie. Cette technique nouvelle, en autorisant aux lithographes de dessiner directement sur une pierre calcaire à grain fin, permet de restituer vitalité et précision du trait, nuances de gris et profondeur des contrastes.

Jules Germain Cloquet, anatomiste et chirurgien de l’hôpital Saint-Louis est le premier à se servir de la lithographie pour le dessin anatomique. Ses deux atlas Anatomie de l’homme  et Manuel d’anatomie descriptive du corps humain ne comportent pas moins de 300 planches lithographiées chacun. « Le journal complémentaire du dictionnaire des sciences médicales » de 1823 précise que « ce qui distingue les lithographies de M. Cloquet de la plupart des autres ouvrages analogues, c’est qu’il n’a pas représenté chaque objet isolé des autres, mais que toutes les figures, surtout celles qui représentent les ligamens et les muscles, constituent de véritables tableaux ».

Jules Germain Cloquet est né à Paris le 28 décembre 1790 dans une famille d'origine champenoise. Il est le fils de Jean-Baptiste Cloquet, professeur de dessin et graveur. Jules Cloquet commence son apprentissage à Paris, dans l’atelier d’art de son père, avant d’entrer à l'âge de seize ans à l'École d'anatomie artificielle de Rouen récemment créée par Jean-Baptiste Laumonier. Il y apprend la cérisculpture ou l’art des préparations anatomiques modelées en cire auprès d’Achille Cléophas Flaubert, père de Gustave Flaubert. De retour à Paris, il travaille comme modéliste sur cire avant d’intégrer la Faculté de médecine où il devient professeur d’anatomie et de chirurgie. 

Entre 1821 et 1832, il publie l’Anatomie de l’homme ou description et figures lithographiées de toutes les parties de corps humain pour lequel il collabore avec le comte Charles Philibert de Lasteyrie du Saillant, importateur des premières presses lithographiques en France. L’ouvrage de format grand in-folio est publié sous la forme de 52 cahiers à 9 fr chacun.

Toutefois, Jules Germain Cloquet se rend compte que seules les personnes fortunées sont en mesure d’acquérir son Anatomie de l’homme et fait imprimer, entre 1825 et 1831, une version abrégée de cette publication, dans un format plus modeste, intitulée Manuel d’anatomie descriptive du corps humain. L’ouvrage, publié chez Bechet jeune, paraît en 56 livraisons de 6 planches à 4 fr chacune.  Jules Germain Cloquet travaille alors avec Haincelin et Pierre Jacques Feillet, dessinateurs spécialisés et les lithographes Joseph Langlumé et Frey.

Les planches de ce manuel d'anatomie sont classées en six parties : l'ostéologie, la myologie, le système nerveux, les organes de la circulation et de la respiration, les organes de la digestion et des sécrétions, et pour finir l'embryotomie. La figure n°6 de la planche 64 présentée ci-dessus provient de la partie "ostéologie". Dessinée et lithographiée par Pierre Jacques Feillet, elle est légendée ainsi : "portion de la tête d'un jeune homme, préparée de manière à faire voir la disposition de plusieurs muscles de la face". A cette époque, le seul moyen d’obtenir des lithographies en couleurs était encore de les colorier à la main. La planche 64 du Manuel d’anatomie descriptive du corps humain est peut-être l'oeuvre d'Elisa Mantois, qui débutait alors comme coloriste et qui s'est fait, par la suite, une spécialité de la coloration des planches anatomiques lithographiées en France. Une mention honorable lui est d'ailleurs décernée pour son travail de coloriste à l’occasion de l’Exposition des produits de l’industrie française en 1839.

Il est également intéressant de signaler que la première partie du volume de planches du Manuel d’anatomie descriptive du corps humain présente une illustration au titre dessinée par Girodet, élève de David, et lithographiée par Pierre Jacques Feillet. Dans cette allégorie d'une scène antique, un cadavre est étendu à gauche sur un tombeau. A ses côtés, trois femmes : l'Etude, soulevant le linceul, la Médecine, et la Peinture, assise, qui dessine le cadavre. Au-dessus, on reconnaît Hermès, porteur du caducée, qui éclaire la scène à l'aide d'une torche. Ce thème, revu par Girodet, fut auparavant utilisé en 1786, pour le frontispice du Traité d'anatomie et de physiologie de l’anatomiste et naturaliste Félix Vicq d'Azyr. Celui-ci aquarellé par Mademoiselle Briceau, représentait alors la Médecine conduite par l'Etude à de nouvelles observations anatomiques accompagnées d’un ange couronné tenant un flambeau et d’un vieillard ailé, allégorie du temps qui passe, brandissant un sablier.

 

Pour en savoir plus :

Rifkin, Benjamin A. ; Ackerman, Michael J. «L'anatomie humaine : cinq siècles de sciences et d’art». Paris : éditions de La Martinière, 2006

Jaussaud, Philippe. Voyages au centre du corps 1 : les traités d’anatomie anciens : squelette, muscles et viscères. Blog Interfaces BU Lyon 1. [en ligne] 

Jaussaud, Philippe. Voyages au centre du corps 2 : les traités d’anatomie anciens : appareil circulatoire, système nerveux et organes des sens. Blog Interfaces BU Lyon 1. [en ligne]

Sousa , Jörge de. "La lithographie dans l'illustration d'anatomie : une approche historique". In Arts et métiers du livre, n° 201, pp. 19-23

 

Pour en savoir plus sur la lithographie au service de l'anatomie : 

Bourgery & Jacob : dissection d'un atlas anatomique du XIXe siècle. [site web]

Posté le 25/10/2019 | Par Frédérique Laval

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