Et toulouse pour apprendre : des étudiants en colère mettent le feu aux salles de cours de la faculté de droit de Toulouse

Le 14 avril 1540 des étudiants mettent le feu au bâtiment abritant les salles de cours de la faculté de droit de Toulouse, pour protester contre une atteinte à leurs droits et libertés. Le récit "à chaud" des évenements est donné dans ce document rédigé (en latin) par Jean de Coras, professeur de droit renommé et recteur de l'université de Toulouse. Les événements qui provoquèrent cette révolte peuvent aujourd'hui surprendre, et doivent être replacés dans le contexte de l'époque : durant le Moyen-Age et la Renaissance, le monde étudiant est caractérisé par la solidarité, la défense des droits des universitaires (privilèges qui leur confèrent non pas l'immunité mais des sanctions allégées) mais aussi les affrontements souvent violents contre les autorités ou entre groupes. L'agitation estudiantine est particulièrement forte depuis le début des années 1530, suite à l'augmentation du nombre d'étudiants et au regroupement des étudiants en "nations". Ces associations, qui rassemblaient les étudiants selon leur origine, ne sont apparues au grand jour qu'au début du XVIe siècle à Toulouse et ont été rapidement interdites - en vain - par les autorités.

Suite à l'agression épée en main dans des locaux universitaires d'étudiants espagnols par des étudiants "gascons" 1(qui aurait fait un mort), le parlement de Toulouse condamne le meneur, Jean Pressac à 10 ans d'interdiction de séjour et ordonne que l'épée d'un autre des assaillants, Salvat de la Rude, soit clouée à la porte des "escoles de droit" (salles de cours). Après un premier essai le 12 avril, où les représentants de la Loi doivent rebrousser chemin sous les huées et les jets de pierre des étudiants protestant contre cette provocation, la sentence ne peut être appliquée que le lendemain avec le renfort des forces de l'ordre. Le 14 avril, les étudiants en colère arrachent l'épée et mettent le feu aux salles de cours de deux professeurs de droit, Arnaud du Ferrier et Jean de Coras. Plusieurs habitants se rassemblent alors pour maîtriser les étudiants et les empêcher de mettre à exécution leur menace de porter le feu dans toute la ville. Les capitouls organisent avec l'aide de la population la poursuite des "boutefeus" jusque tard dans la nuit. Une centaine d'étudiants sont arrêtés, tandis que les autres s'échappent en perçant le mur d'enceinte de la ville (certains se seraient alors noyés dans la Garonne). Le parlement réagit sans tarder. Le 14 mai, il condamne le meneur Pierre Trilheton à être pendu devant la porte des "estudes", et les 6 autres inculpés à une amende ou un bannissement temporaire. Trois autres étudiants sont condamnés par contumace à une forte amende ; leur effigie (un mannequin) devra être traînée dans les rues puis brûlée devant la porte de la faculté. Les amendes ont servi à reconstruire le bâtiment, qui, bâti et achevé en 1522 au frais des capitouls, constituait alors le seul bâtiment propre à l'université (il était situé dans le "quartier latin de Toulouse"2). A en croire les Annales manuscrites de la ville, ce fut finalement une bonne opération pour la faculté de droit, qui disposa alors "des plus belles écoles de la chrétienté". La sévérité de ce jugement a choqué plus d'un toulousain, comme en témoigne ces vers du poète et professeur de droit Jean de Boyssoné : "Le feu fut grand, certes, et bien horrible... mais trop plus fut, à mon avis, terrible et plus nuisant, ce cruel pendement".

Cet événement nous est connu par divers documents, dont ce précieux texte de Jean de Coras, revêtu de sa belle signature et sans doute autographe. Il le rédige tout de suite après les évènements, qui le concernent au premier chef puisque l'un des auditoires incendié est la salle où il donne ses cours et qu'il est à cette date recteur de l'université de Toulouse. Sobrement intitulé "L'incendie des écoles toulousaines" ("Scholae tholosanae incendium"), le récit laisse transparaître l'émotion du juriste, notamment dans les premiers mots "Un incroyable désastre inédit et inouï est arrivé à toulouse le 14 avril 1540" ("Nova incredibilis et inaudita clades anno supra millesimum quadragesima et die quarta decima apud Tolosam accidit"). Il contredit parfois la version officielle, celle des Annales de la ville : alors que celles-ci se félicitent que la poursuite et l'arrestation des étudiants n'ait fait  aucun blessé, Jean de Coras déplore au contraire la mort d'un étudiant, fils d'avocat. Malheureusement, il semble bien que ce texte, publié intégralement il y plus de 150 ans3, n'ait jamais été traduit intégralement. Ce document figure dans un registre manuscrit sur parchemin, daté des XVe et XVIe siècles, conservé à la BU de l'Arsenal. Il s’agit d’un des “livres de recteurs” de l’université de Toulouse, où étaient recopiés et conservés les textes importants liés à l’institution, et parmi eux ses statuts, dont le plus ancien date de 1310. Débuté au XVe siècle, il a été utilisé au XVIe siècle pour relater des événements importants, tels que la visite de François Ier à l'université en 1533 et ce récit de l'incendie des écoles de droit. 

Ce document fait partie du corpus Enseignement en pays toulousain.

1- Originaires du grand Sud-Ouest

2 - Situé "rue des estudes" (à l'extrémité de la rue Valade et rue Albert Lautmann) ; voir le n° 15 du plan Boisseau (1645), Description de la Métropolitaine ville de Toulouse, université et siège du parlement du Languedoc, 1645

3 - Dans : Aimé Rodière, « Recherches sur l’enseignement du droit à Toulouse », Recueil de l'Académie de législation de Toulouse, t. X, 1861, p. 172.

Pour en savoir plus :

Patrick Ferté, "Toulouse, université hispanique...", Les cahiers de Framespa, 14, 2013  En ligne

Sophie Cassagnes-Brouquet, La violence des étudiants toulousains de 1460 à 1610, thèse de 3e cycle, Paris, EHESS, 1982, (dactylogr.)  ; résumé dans Annales du Midi, 1982, t. 94, n° 158, p. 245-262. En ligne

Henri Gilles, Université de Toulouse et enseignement du droit, xiiie-xvie siècles, 1992, p. 351-354

Antonin Deloume, Aperçu historique de la Faculté de Droit de l'Université de Toulouse, 1900, p. 57. En ligne.

 

Posté le 24/09/2019 | Par Marielle Mouranche

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