Cabinet de curiosités : Un médecin toulousain face à l'extraordinaire. Le cas de Marie Mercié, qui a vomi des créatures aquatiques vivantes

Rare et surprenant, cet ouvrage intitulé Nouvelle histoire extraordinaire d’une fille qui vit encore, …; laquelle a vomi plusieurs horribles animaux aquatiques, en vie et de différentes espèces…mérite de figurer en bonne place dans notre cabinet de curiosités. Publié en 1695 et rédigé par Pierre Montresse (16..-17..), docteur en médecine de l'université de Toulouse, il rapporte le cas de Marie Mercié, villageoise d’une vingtaine d’années travaillant comme servante dans les environs d’Agen, qui de décembre 1689 à août 1690 aurait vomit une vingtaine de salamandres et de nombreuses autres créatures aquatiques vivantes. Conservés par le chirurgien qui la traita, quelques-uns de ces spécimens furent reproduits sur une planche gravée ci-dessous.

Dans les premiers chapitres de l’ouvrage, Montresse s’attache à prodiguer des conseils pour examiner avec intelligence et discernement cette incroyable histoire. Il met l’accent sur la difficulté pour l’homme, même médecin, de « pouvoir connaître toutes les causes des effets qu’on voit arriver dans la nature » et cite un passage des Géorgiques de Virgile « Felix qui potuit, rerum cognoscere causas » : heureux celui qui a pu connaître la première cause des choses. Il admet le manque de connaissances et donc les erreurs de certains confrères médecins qui pourtant « osent avec témérité tenter toute opération et ordonner tout remède d’où vient aussi qu’ils se précipitent si souvent comme cet Icare dont parle la fable, faute de ne vouloir s’instruire, dans le précipice d’une infinité d’égarements ».

Il relate ensuite en détail les épisodes successifs de vomissement de Marie Mercié et le cortèges de symptômes qui les précèdent : grande crainte soudaine, tournoiements de tête, douleurs d’estomac, abattement des forces, pesanteurs de tout le corps, envie de vomir, défaillances fréquentes, syncopes. Puis Montresse examine et réfute les trois différentes opinions que cette histoire extraordinaire a suscité. Les uns pensent que la jeune fille a été victime d’un sortilège, d’autant plus qu’elle a côtoyé à cette période la femme d’un dénommé Sautial réputée être une sorcière. Mais l’auteur conteste la thèse de la superstition car il fait valoir que les vrais cas de possession par le démon sont rares et que les faits peuvent s’expliquer par des « raisons plausibles ». Certains s’imaginent qu’elle les a avalés par mégarde en buvant de l’eau alors qu’ils étaient de petite taille mais ne donnent pas de plus amples explications sur le phénomène. A d’autres encore qui pensent qu’elle a ingéré des aliments avariés, il réplique que les animaux vomis par la jeune fille ne peuvent venir des « corruptions de son estomac » . Partisan de la méthode expérimentale, il tire cette affirmation de ses propres observations réalisées avec une bouteille fermée et un microscope et cite celles réalisées avec la machine de Boyle, une pompe dont le but est d’évacuer l’air du récepteur afin d’obtenir un vide « efficace ». Montresse utilise cet engin pneumatique pour démontrer que les aliments qui ne sont pas en contact avec l’air n’engendrent pas de vers.

L’auteur expose alors sa théorie : ces animaux « n’ont pu naître que des globules séminaires, qu’elle avait avalé avec les aliments », sans doute de l'eau croupissante, dans laquelle « selon toute vraisemblance, les séminaires... nagoient d'une manière imperceptible, à cause de leur extrême petitesse »,  et ils ont éclos grâce à «  la douce chaleur de l’estomac de cette fille » identique à celle du milieu aquatique. Peut-être Montresse, dont on sait peu de choses, avait-t-il eu connaissance des travaux et des expériences de Francisco Redi (1626-1697), médecin italien précurseur en parasitologie, qui prouva que les vers parasites n'apparaissent pas par génération spontanée dans les intestins, mais qu'ils sont introduits dans l'organisme sous forme de germes ou d'œufs.  Cette théorie sera ensuite reprise en France par Nicolas Andry (1658-1742).

Montresse préconise ensuite différents remèdes vermifuges ou vermicides, certains amers et aigres, d’autres absorbants et huileux. « Les huileux sont ceux, qui par leurs parties rameuses et  branchues bouchent tellement les pores, et les trachées des vers, par où ils respirent, que ne pouvant plus recevoir l’air nécessaire. Ils étouffent enfin ». Les moyens de préventions conseillés sont les suivants : éviter de laisser viande, fruits et laitages exposés à l’air ambiant par temps chaud ; ne pas consommer en grande quantité de ces aliments à la fois ; attendre que la digestion soit terminée avant d’en reprendre d’autres ; ne pas sevrer trop tôt les enfants car le lait maternel passant directement du sein à l’enfant, les vers ne peuvent pas s’y développer.

Si la fantaisie de ce récit peut paraître séduisante, on peut légitimement se poser la question de sa véracité. A la lumière de la médecine contemporaine, cette histoire semble improbable et paraît plutôt relever de la légende ou du conte, comme celui des Fées de Charles Perrault, car aucune étude scientifique ne corrobore ces faits. Montresse décrit pourtant d’autres cas comparables , dont celui rapporté par "plusieurs personnes dignes de foi" : une enfant de 14/15 ans à qui il est arrivé semblable mésaventure vers 1650 à Bessières (Haute-Garonne). Il évoque aussi d’autres cas similaires étudiés par des médecins du 16è siècle qui pratiquaient également la médecine d’observation, comme le belge Rembert Dodonaeus (Dodoëns), (1517-1585) et l’allemand Johann Georg Schenk (15....-1620) appelé Schenkius. Quelle crédibilité peut-on donner à ces divers témoignages car Montresse n'a pas réellement constaté de visu ce phénomène extraordinaire ? Autres hypothèses : les médecins pourraient-ils avoir été délibérement dupés par Marie Mercié ou bien encore, celle-ci en proie à quelques désordres psychologiques, aurait-t-elle pu volontairement avaler ces animaux aquatiques ? À ce jour l’énigme reste entière...

Cet ouvrage témoigne à la fois du succès des théories médicales nouvelles au XVIIe siècle, reprises ici par un obscur médecin toulousain, mais aussi de leurs limites : elles ont favorisé le progrés scientifique mais aussi conduit à des impasses.

 

Pour en savoir plus :

Didier Foucault, "Médecine et philosophie au XVIIe siècle: François Bayle." [en ligne] Cahier du centre d'étude et d'histoire de la médecine, 1997, Pierre C. Lile.

Posté le 18/11/2019 | Par Anne-Sophie Bouvet

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